L'étude Apple Heart (ClinicalTrials.gov NCT03335800) a été présentée le 16 mars 2019, lors du congrès de l'American College à la Nouvelle- Orléans. Le 20 mars, lors du congrès de l'European Heart Rhythm Association (EHRA) à Lisbonne, des échanges d'idées ont pu avoir lieu avec les investigateurs.1, 2 étant donné le nom bien connu du sponsor de l'étude, en l'occurrence Apple Inc., on attendait impatiemment - peut-être trop ? - les résultats de la vaste étude qui a été conduite afin d'évaluer dans quelle mesure l'Apple Watch serait capable de détecter une fibrillation auriculaire (FA) encore inconnue. Les résultats de l'étude ne sont pas encore publiés.
Cela ouvre de nouvelles perspectives, même sans résultats
Même sans analyser les résultats, cette étude est innovatrice pour 3 raisons. En effet, elle annonce une ère où les mesures médicales ne se font plus à l'initiative du médecin ou de l'hôpital, comme c'est le cas dans le paradigme médical classique, mais à l'initiative du patient lui-même. En fait, ce n'est même pas le patient qui prend l'initiative, car ce sont les dispositifs technologiques qui nous entourent, comme une montre numérique dans ce cas, qui collectent eux-mêmes des données de santé, sans intervention directe, qui les analysent et qui incitent ou non à prendre contact avec un médecin en cas de résultat suspect ('alerte'). L'étude est également innovante, en ce sens qu'elle a été réalisée entièrement virtuellement, c'est-à-dire sans que les sujets ne soient physiquement vus, ni au début de l'étude, ni lors de la collecte des données, pas plus qu'à la fin du suivi des patients. Enfin, l'échelle frappe également l'imagination: plus de 400 000 porteurs d'une Apple Watch série 1, 2 ou 3 (pas la version 4, même si elle peut également enregistrer une dérivation d'ecg) ont participé à cette étude et ont été suivis pendant au moins 3 mois.
Conception de l'étude Apple Heart
L'Apple Watch peut suivre la fréquence cardiaque au moyen de la photopléthysmographie (PPG). à l'aide d'un signal lumineux et d'un capteur optique à l'arrière de l'appareil, l'absorption variable de la lumière d'une certaine longueur d'onde est mesurée en fonction de la pulsatilité du flux sanguin. Un algorithme (qui n'est pas décrit plus en détail) évaluait si le rythme cardiaque était irrégulier. On ne sait pas non plus à quelle fréquence cela se produisait (compte tenu des implications pour la durée de vie de la pile). En cas de détection d'un rythme cardiaque irrégulier, des mesures répétées plus fréquentes étaient réalisées, chaque fois toutes les 12 minutes environ. Si 5 mesures consécutives sur 6 enregistraient un rythme cardiaque irrégulier (l'article au sujet de la conception de l'étude mentionnait 4 sur 5)3, cela conduisait à une 'notification de rythme cardiaque irrégulier' adressée au porteur de la montre, indiquant la détection potentielle d'une FA. Le porteur était alors invité à utiliser une application sur l'iPhone pour contacter un médecin en vue d'une conversation en ligne. Le médecin évaluait si le patient avait déjà souffert de FA, s'il prenait des anticoagulants et/ou s'il y avait des symptômes urgents et, le cas échéant, il l'adressait à ses propres dispensateurs de soins. Sinon, le patient recevait par la poste un enregistreur ecg qu'il pouvait appliquer lui-même, et qui enregistrait le rythme cardiaque en continu pendant 7 jours.
L'étude a d'une part évalué le nombre de patients ayant reçu une notification de rythme cardiaque irrégulier, qui ont porté un enregistreur ecg pendant une semaine, et chez qui une FA a été constatée à l'ecg. Cette comparaison était donc basée sur des mesures non simultanées. D'autre part, un deuxième critère d'évaluation primaire visait à évaluer si les notifications de rythme cardiaque irrégulier pendant la semaine d'enregistrement simultané portaient effectivement sur une FA ou non.
Résultats
Une campagne médiatique faisant suite au lancement de l'application de l'étude le 29 novembre 2017 a invité les propriétaires d'une Apple Watch (aux états-Unis uniquement) à y participer. Ils devaient être âgés de plus de 22 ans, attester qu'ils n'avaient pas d'antécédents de FA ni de flutter et qu'ils ne prenaient pas d'anticoagulants. Au total, 419 297 sujets se sont inscrits à l'étude. Comme on s'y attendait, la majorité des sujets étaient jeunes ; 52 % avaient entre 22 et 39 ans et seuls 24 626 sujets (6 %) étaient âgés de ≥ 65 ans. Les femmes représentaient un pourcentage respectable de la population d'étude, avec 42 %. Au cours de la phase de suivi, qui a duré en moyenne 8 mois, 2 161 sujets (0,52 %) ont reçu une notification de rythme. Comme on s'y attendait, ce pourcentage était plus élevé chez les sujets âgés (3,2 % chez les sujets de ≥ 65 ans), ce qui indique que l'algorithme était assez spécifique et que le nombre de faux positifs n'était pas beaucoup plus élevé dans une population plus jeune et plus active (figure 1).
En fin de compte, seuls 21 % de ces 2 161 personnes ayant reçu une notification (n = 450) ont porté un Holter durant 7 jours, qui a été analysé, bien qu'il faille noter que les caractéristiques de base de ces 450 personnes (comme l'âge et le score CHA2DS2-VASc) étaient identiques à celles des 2 161 personnes. L'enregistreur ecg a été porté pendant 6,3 jours en moyenne. Chez 34 % des sujets, on a documenté une FA pendant cette période, ce qui est remarquablement élevé, car les mesures n'étaient pas simultanées mais séparées en moyenne de 13 jours. Il convient également de noter que le taux de détection de FA était comparable dans la plupart des groupes d'âge, mais légèrement inférieur dans le groupe des sujets de 22 à 39 ans (figure 1). Dans 89 % des épisodes de FA lors de l'enregistrement ecg, les périodes duraient ≥ 1 heure ; on ne dispose pas encore de données au sujet des différences entre les différents groupes d'âge. Des épisodes moins fréquents et plus courts chez des personnes plus jeunes peuvent expliquer pourquoi la proportion de FA sur l'enregistreur était plus faible dans les groupes d'âge plus jeunes (figure 1). L'algorithme basé sur 5 des 6 mesures irrégulières avait une valeur prédictive positive de 84 % en cas d'évaluation simultanée (en d'autres termes pendant la période de port d'un enregistreur ecg). L'analyse post-hoc a montré une valeur de 71 % pour une seule mesure d'un rythme cardiaque irrégulier.
Le contexte
La détection d'une FA asymptomatique fait l'objet d'une grande attention, étant donné que 15 à 20 % des AVC constituent la première manifestation d'une FA. La détection d'une FA et l'instauration d'un traitement anticoagulant peuvent potentiellement prévenir les AVC. Toutefois, il convient de noter qu'on ne sait pas à partir de quelle durée ces épisodes de FA silencieuse entraînent un risque accru, ni si un traitement anticoagulant peut effectivement réduire ce risque. De plus, on ne sait pas exactement quelle est la durée optimale du dépistage du rythme et, par conséquent, quelle est la rentabilité des différentes stratégies de dépistage.4 Les problèmes lors du dépistage résultent principalement de résultats faussement négatifs ou positifs. Surtout dans une situation où le risque a priori est faible, les tests faussement positifs entraînent des examens complémentaires inutiles, des coûts supplémentaires et une anxiété inutile. Chaque technologie et chaque stratégie de dépistage exigent donc une évaluation rigoureuse de la sensibilité et de la spécificité avant de pouvoir être utilisées en pratique.4
Quels sont les enseignements de l'étude Apple Heart ?
La force de l'étude Apple Heart réside dans la valeur prédictive positive étonnamment élevée de l'algorithme de détection (84 %). Ceci est également confirmé par l'incidence presque similaire de FA lors d'un enregistrement ecg ultérieur, malgré l'incidence différente des notifications en fonction de l'âge, comme mentionné ci-dessus. La spécificité de l'algorithme pourrait encore être améliorée à l'avenir, par une analyse plus poussée des données de mesure dans de grands groupes de porteurs ('machine learning'), et lorsque les mesures PPG peuvent être combinées avec des enregistrements ecg immédiats (après l'alerte), comme c'est le cas de la toute dernière Apple Watch. Un autre point fort de l'étude est que toutes les données relatives à la santé et à l'identification des sujets testés étaient inaccessibles au sponsor (Apple Inc., qui produit également le matériel et les logiciels), ce qui crée une norme de confidentialité pour les autres entreprises à l'avenir. En outre, le fait que les chercheurs avaient élaboré un plan d'action prédéfini pour les sujets recevant des notifications de rythme a été vivement apprécié (y compris l'envoi accéléré vers les dispensateurs de soins locaux) : la technologie de dépistage doit s'inscrire dans une stratégie de dépistage cohérente.
Cependant, la principale limitation de l'étude est l'absence totale de données de sensibilité, tant chez les sujets qui ont porté un enregistreur ecg que dans l'ensemble du groupe de patients. Pourtant, cela aurait pu être évalué relativement facilement chez ceux qui ont porté un enregistreur ecg, par exemple en indiquant, chez les personnes ayant une FA durant ≥ 1 heure, combien de fois l'Apple Watch avait envoyé une notification à ce moment-là. On peut s'attendre à ce que la sensibilité d'un algorithme très spécifique soit plutôt faible. Il s'agit d'un choix logique dans un contexte où la probabilité a priori de FA est très faible (population jeune) et le risque a priori faible (score CHA2DS2 VASc bas ; seuls 13 % avaient un score ≥ 2). De plus, si l'on réalise que la montre n'est pas portée la nuit (pour se recharger) et que de nombreux signaux PPG pendant la journée sont de qualité insuffisante et donc non interprétables, on peut anticiper une faible sensibilité. Les évolutions techniques peuvent progressivement améliorer ces limites de sensibilité, de sorte que le seuil de dépistage peut être déplacé vers les personnes à plus faible risque, si l'on veut un jour en faire une véritable stratégie de dépistage. L'étude Apple Heart n'est donc pas une véritable étude de dépistage, car il est impossible d'évaluer les pleines performances de l'outil de dépistage.4 De plus, selon les normes d'une étude clinique, il y a eu un taux de 'drop-out' inacceptablement élevé : 79 % des patients ayant reçu une notification de rythme n'ont finalement pas réalisé d'enregistrement ecg. Cela limite considérablement la possibilité de généraliser les données. Les autres limites de l'étude sont l'information très limitée sur les caractéristiques de l'algorithme de détection et le fait que l'étude n'a finalement pas atteint ses objectifs d'inclusion prédéterminés.3 Il faut également garder à l'esprit qu'il existe un biais d'inclusion important : les propriétaires d'une Apple Watch qui ont accepté de participer ne sont pas nécessairement représentatifs de la population totale ; seule une minorité de personnes ayant reçu une notification initiale (45 % ; figure 1) ont effectivement contacté le médecin de l'étude (en dépit de la facilité du contact virtuel qui était prévu) ; et nous avons déjà mentionné la minorité de personnes ayant finalement porté un enregistreur ecg pendant 7 jours. L'étude Apple Heart n'est certainement pas une étude de résultats (qui, par exemple, examine l'impact de la détection de la FA sur l'incidence d'AVC), et elle ne nous permet donc pas de conclure si la détection chez ces sujets était judicieuse et nécessaire.
En conclusion
La communauté médicale doit inévitablement se préparer à un avenir dans lequel des personnes (pas encore nécessairement des 'patients') nous demandent d'agir sur la base d'informations concernant leur état de santé, lorsque nous n'avons pas demandé nous-mêmes les tests médicaux. L'étude Apple Heart montre qu'une surveillance à grande échelle des consommateurs est possible et permet d'identifier avec une précision relativement élevée les personnes ayant un problème de rythme. Les algorithmes n'en sont qu'à leurs balbutiements et seront grandement améliorés, entre autres sur la base de tracés ecg supplémentaires 'à la demande' par ces mêmes montres.
Nous devons réagir de manière proactive à ces évolutions et ne pas nous contenter de les subir. C'est à la communauté médicale de soumettre la technologie à des tests sur son utilité dans un contexte de dépistage, y compris les études de résultats. De plus, nous devons déjà réfléchir aux changements organisationnels nécessaires pour passer à ce nouveau paradigme de l'information médicale émanant du consommateur. Il est clair que l'étude Apple Heart a annoncé cette ère.
Références
- The Apple Heart Study - Results of a large- scale, App-based study to identify atrial fibrillation using a smartwatch (video on ESC 365). Presented by Dr. A. Russo (Moorestown, US). https://esc365.escardio. org/Congress/EHRA-2019/Meet-the-trialist- The-Apple-Heart-Study/27458-meet-the-trialist- the-apple-heart-study. 2019
- The Apple Heart Study - Discussant Review (video on ESC 365). Presented by H. Heidbuchel (Antwerp, B). https://esc365.escardio. org/Congress/EHRA-2019/Meet-the-trialist- The-Apple-Heart-Study/194639-the-apple- heart-study-discussant-review#video. 2019
- Turakhia, M.P., Desai, M., Hedlin, H., Rajmane, A., Talati, N., Ferris, T. et al. Rationale and design of a large-scale, app-based study to identify cardiac arrhythmias using a smartwatch: The Apple Heart Study. Am Heart J, 2019, 207, 66-75.
- Mairesse, G.H., Moran, P., Van Gelder, I.C., Elsner, C., Rosenqvist, M., Mant, J. et al. Group ESCSD. Screening for atrial fibrillation: a European Heart Rhythm Association (EHRA) consensus document endorsed by the Heart Rhythm Society (HRS), Asia Pacific Heart Rhythm Society (APHRS), and Sociedad Latinoamericana de Estimulacion Cardiaca y Electrofisiologia (SOLAECE). Europace, 2017, 19 (10), 1589-1623.
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