Pour le groupe de travail belge sur les cardiopathies congénitales de l' adulte
Modifications hémodynamiques durant la grossesse: quand faut-il s'inquiéter?
Els Troost
Incidence
A l'heure actuelle, jusqu'à des 4 % grossesses dans les pays occidentaux se compliquent en raison de maladies cardiaques présentes chez la mère, certaines étant préalablement identifiées et d'autre pas. Par l'amélioration de la prise en charge des affections cardiaques, un nombre croissant de femmes porteuses de maladies cardiaques arrivent en âge de procréer et s'interrogent sur les possibilités d'avoir un enfant. L'âge de la première grossesse est de plus en plus tardif, si bien que les femmes enceintes peuvent souffrir de leur maladie cardiaque, ou de complications liées à leur exposition à leur exposition à des facteurs de risque cardiovasculaire comme le diabète, l'obésité et l'hypertension artérielle.
L'étude ROPAC, un registre multicentrique et multinational, soutenu par l'ESC (la Société Européenne de Cardiologie), rapporte le devenir maternel et foetal, ainsi que le devenir obstétrical des patientes souffrant de cardiopathie structurelle, valvulaire, congénitale ou ischémique. Ce registre illustre que les changements hémodynamiques survenant pendant la grossesse peuvent avoir un impact négatif sur la santé maternelle et foetale, et qu'un suivi approprié doit être proposé à ces patientes. Parmi ces femmes enceintes 'cardiaques', 26 % doivent être hospitalisées pendant leur grossesse, la moitié d'entre elles suit à une insuffisance cardiaque. La mortalité maternelle pendant la grossesse en présence d'une affection cardiaque atteint 1 %, soit 100 fois plus que dans une population normale.
Changements hémodynamiques pendant la grossesse et le travail
L'analyse des données du registre ROPAC nous apprend que certaines périodes pendant la grossesse sont plus à risque pour la survenue d'incident cardiaque. Un premier pic survient au début du deuxième trimestre, aux alentours de 23 à 30 semaines, et une deuxième vague apparaît dans le postpartum (de la première à la quatrième semaine post-partum).
Ce profil s'explique par les changements hémodynamiques survenant pendant la grossesse.
Dès la 8 à 12 ème semaine de grossesse, le débit cardiaque et le volume plasmatique augmentent pour atteindre un plateau de débit cardiaque vers la 12° semaine, alors que le volume plasmatique augmente encore progressivement jusque vers 22 à 24 semaines de grossesse. Cette augmentation du débit cardiaque s'explique surtout par une hausse du volume sanguin, plus que par une augmentation du rythme cardiaque qui elle y contribue au cours du troisième trimestre. Les changements hormonaux survenant pendant la grossesse provoquent une vasodilatation et une diminution des résistances vasculaires systémiques, favorisant encore l'augmentation de débit cardiaque. En conséquence, la pression artérielle systolique et la diastolique diminue, atteignant un plancher aux alentours des 20 semaines de grossesse avant de retourner progressivement au niveau antérieur à la grossesse.
Il n'est dès lors pas surprenant que ce soit surtout les lésions à caractère obstructif, ou des situations où l'adaptation de précharge est déficiente qui posent problème. De telles situations se rencontrent dans les sténoses valvulaires ou sous-valvulaire, les cardiopathies avec fonction ventriculaire réduite, le ventricule droit systémique, la circulation de Fontan et le syndrome d'Eisenmenger ou les cardiopathies cyanogènes qui n'ont pas assez de réserve pour compenser les changements physiologiques survenant pendant la grossesse. à côté de ces situations, les aortopathie familiale ou associée à des syndromes ou celles associées à une bicuspidie valvulaire aortique sont à risque d'événement au cours ou après la grossesse, suite aux modifications hormonales qu'elles entraînent.
La hausse maximale du débit cardiaque est toutefois enregistrée pendant le travail, surtout lors des contractions utérines. En outre, les manoeuvres de Valsalva répétées et prolongées peuvent être à l'origine d'importantes fluctuations dans le débit cardiaque et le rythme cardiaque, s'ajoutant à l'effet adrénergique induit par la douleur. Pendant la deuxième phase du travail, le débit cardiaque augmente une nouvelle fois de 50 %. Il est de ce fait recommandé, en cas de risque d'instabilité hémodynamique, de placer les patientes en position couchée latérale gauche pour éviter une compression de la veine cave inférieure et assurer un retour veineux plus stable. Dans les situations où des manoeuvres de Valsalva prolongées doivent être évitées, le choix entre une césarienne ou un accouchement vaginal assisté par ventouse ou par forceps est à considérer. A côté des indications 'obstétricales', les situations obstructives, la présence d'une aortopathie instable, et l'hypertension artérielle pulmonaire, ou une insuffisance cardiaque décompensée constituent des situations où une césarienne doit être considérée pour raison 'cardiovasculaire'.
Au début du post-partum, d'importants changements hémodynamiques surviennent. On assiste en effet à une hausse de la précharge suite à une décompression de la veine cave inférieure et à un effet d'autotransfusion suite aux puissantes contractions utérines. Cette situation implique dès lors un risque de décompensation accru durant les premières heures suivant l'accouchement. Ces paramètres hémodynamiques se normaliseront progressivement au fil des semaines.
Anesthésie pendant le travail
Le travail et l'accouchement peuvent induire de la douleur, majorant encore les besoins cardiaques. De ce fait, les patientes souffrant d'une maladie cardiaque doivent bénéficier d'une bonne anesthésie et un bon contrôle de la douleur.
Nous devons toutefois tenir compte du fait que l'anesthésie neuraxiale a des effets hémodynamiques. Le choix entre une anesthésie épidurale et spinale doit être évalué. L'avantage de l'anesthésie épidurale est son démarrage lent, induisant une réduction de l'hypotension et la possibilité d'une nouvelle titration par un système de pompe. Elle a cependant un effet moins fiable ou plus difficilement prévisible.
L'anesthésie spinale a, quant à elle, un effet plus puissant sur les résistances vasculaires périphériques, entraînant un risque de profonde hypotension. Un effet analgésique plus fiable et plus puissant en découle.
Il faudra tenir compte du fait que les cardiopathies plus complexes peuvent présenter une sensibilité plus élevée aux effets hémodynamiques néfastes de l'anesthésie.
Complications obstétricales
En marge des conditions maternelles connues, il existe cependant des facteurs obstétricaux moins prévisibles qui peuvent induire une hausse de la charge hémodynamique durant la grossesse. Les plus fréquents sont l'hypertension gravidique et la prééclampsie qui peuvent compliquer jusqu'à 8 % de toutes les grossesses normales. La cause précise de la prééclampsie n'est pas encore bien connue, mais elle serait due à une mauvaise adaptation endothéliale et vasculaire associée à des anomalies métaboliques, circulatoires, hémostatiques et immunologiques. Cette situation donne lieu à un développement insuffisant des artères spiralées du myomètre de l'utérus et à un dysfonctionnement placentaire. Dans un spectre plus grave, elle peut donner lieu à une issue plus mauvaise pour la mère et le foetus, ainsi qu'à un risque de récidive accru lors de grossesse futures. Si la prééclampsie se développe chez des patientes présentant une affectation cardiaque sous-jacente, cette situation peut en outre plus rapidement évoluer en une insuffisance cardiaque clinique et en un oedème pulmonaire.
Consultation de préconception
Tout cela illustre la nécessité d'une consultation de préconception poussée et d'un suivi gynécologique et cardiaque systématique pendant la grossesse (figure 1). C'est surtout l'évolution au deuxième trimestre de la grossesse qui doit être évalué, vu que cette phase, d'un point de vue hémodynamique, peut être prospective pour la suite du déroulement de la grossesse. Nous devons également prendre conscience du fait que des facteurs obstétricaux imprévisibles peuvent compromettre la grossesse et qu'un faible seuil doit dès lors être prévu pour un suivi maternel et foetal étroit lors de grossesses à risque élevé.
Directives ESC: cardiopathies pendant la grossesse
Jolien Roos-Hesselink
Directives ESC 2018
En 2018, les derniers guidelines de l'ESC sur la prise en charge des maladies cardiovasculaires pendant la grossesse ont été publiés. Ces directives décrivent le risque de et la prise en charge de l'insuffisance cardiaque, des troubles du rythme cardiaque, des thromboses et dissections aortiques pendant la grossesse, chez des patientes souffrant d'une cardiopathie.
La mortalité maternelle pendant la grossesse augmente, même dans les pays occidentaux, et les maladies cardiovasculaires restent la principale cause de mortalité maternelle. Les raisons en sont principalement la mort subite, l'infarctus du myocarde, la dissection aortique, les cardiomyopathies, les affections valvulaires et l'hypertension pulmonaire.
Ces directives mettent en avant la nécessité d'une consultation de préconception, lors de laquelle les examens suivants doivent être réalisés: un ECG, une échocardiographie, un test d'effort (de préférence sous la forme d'une cyclo-ergospirométrie) et, dans le cas d'une aortopathie, une imagerie aortique par CT ou IRM.
Sur la base du bilan, les informations nécessaires pourront être fournies pour évaluer le risque lié à la grossesse, discuter d'éventuels changements de traitement, évaluer le risque de transmission et proposer un conseil génétique et expliquer le suivi pendant la grossesse.
De telles questions sont de préférence abordées par une 'pregnancy heart team', où une collaboration multidisciplinaire entre cardiologues, obstétriciens, et anesthésistes est nécessaire. Au delà de ces spécialistes, on fera appel également à des infirmiers obstétriciens, des conseillers en génétique, des chirurgiens cardiothoraciques, des cardiologues pédiatriques, des hématologues et des néanatologues en fonction des besoins.
L'estimation du risque de la grossesse peut être défini sur base de la gravité de la cardiopathie sous-jacente. Pour ce faire, les récents guidelines mettent en avant une classification sur la base d'une catégorie de risque OMS adaptée (figures 2 et 3). Le groupe mOMS 1 n'induit aucun risque accru en comparaison avec la population générale. Dans le groupe mOMS 4, la grossesse est contre-indiquée et une interruption thérapeutique de grossesse doit être envisagée.
Une consultation de préconception est indiquée pour tous les groupes. à partir du groupe mOMS 3, la consultation, le suivi de la grossesse et l'accouchement doivent être centralisés dans des centres d'expertise ou centres académiques au sein d'une 'pregnancy heart team'. Cette subdivision en groupes est décrite en détail dans les guidelines de l'ESC de 2018.
ROPAC (Registry Of Pregnancy And Cardiac Disease)
Il s'agit d'un registre actuellement tenu au sein de l'ESC, initié en 2007, qui rassemble des données médicales liées à la grossesse de patientes souffrant de cardiopathies congénitales, valvulaires ou ischémiques, cardiomyopathies, aortopathie et hypertension artérielle pulmonaire. Actuellement, 138 centres y participent, répartis dans 53 pays; et des données concernant plus de 5 700 grossesses ont déjà été obtenues.
De ce registre, on apprend que pas moins de 21 % de ces patientes font l'objet d'un événement cardiaque pendant la grossesse, l'incidence la plus élevée étant enregistrée chez les patientes souffrant de cardiomyopathie, d'hypertension artérielle pulmonaire et de maladies valvulaires.
Les cardiopathies congénitales représentent actuellement deux tiers de la population souffrant de cardiopathie pendant la grossesse. La majorité des patientes tolèrent heureusement bien une grossesse. Le risque de mortalité maternelle de ce groupe est le plus bas par rapport aux autres groupes, probablement car ce groupe a bénéficié au préalable d'une consultation de préconception et de soins spécialisés.
Le traitement d'une défaillance cardiaque aiguë pendant une grossesse n'est pas fort différent de ce que prescrivent les guidelines de l'insuffisance cardiaque. En cas de choc cardiogénique, l'option d'un accouchement en urgence ou d'une césarienne en urgence doit être évaluée en fonction du bien-être maternel et foetal. Le traitement dans la période périnatale en cas d'insuffisance cardiaque stable doit s'axer sur l'éviction de médicaments tératogènes ou foetotoxiques, à savoir des inhibiteurs ECA, antagonistes des récepteurs de l'angiotensine et la spironolactone.
Une population spécifique dans le cadre du registre ROPAC porte sur des patientes avec valve cardiaque mécanique. Ce sont surtout les problèmes liés à l'anticoagulation qui majorent le risque de ce groupe de patientes, vu qu'il ressort que seulement 58 % de ces femmes font l'objet d'une grossesse sans complication avec naissance vivante.
Sur la base de la littérature actuelle, l'on peut avancer que la consultation de préconception est essentielle pour les patientes souffrant d'une cardiopathie sous-jacente et que ce sont surtout les patientes souffrant d'un diagnostic non connu au préalable qui courent le risque le plus élevé d'incident durant la grossesse. Le suivi multidisciplinaire par des 'pregnancy heart teams' est dès lors recommandé pendant la grossesse, tout comme l'établissement d'un plan d'accouchement détaillé aux alentours de 20 à 30 semaines de grossesse, l'attention portant sur un besoin éventuel d'induction, l'encadrement du travail et de l'accouchement et l'intensité et/ou la durée du suivi post-partum.
Risque de transmission héréditaire de la pathologie cardiaque: qui, quand et comment organiser une consultation?
Julie De Backer
Définition
La consultation de conseil génétique est une consultation spécialisée dans laquelle les conséquences liées à la présence d'une affection potentiellement héréditaire sont abordées. Cette consultation de conseil génétique aborde les implications pour le patient et sa famille, discute du risque de transmission et des modalités que l'on peut mettre en place pour moduler ce risque. La consultation génétique est un processus spécifique qui doit s'organiser par des spécialistes formés à cette fin.
Qui?
Il est important de souligner que non seulement les femmes ayant un désir de grossesse, mais aussi les hommes, doivent faire l'objet du conseil génétique. Le risque de transmission et les modalités qui en découlent concernent en effet le couple.
L'on distingue 3 grands groupes de maladies auxquelles la consultation génétique s'applique (figure 4).
Pourquoi?
Voici quelques raisons pour lesquelles un conseil génétique doit être envisagé :
1. Confirmation du diagnostic.
Nombre d'adultes souffrant d'une cardiopathie congénitale n'ont par le passé fait l'objet d'aucun test génétique. Chez les patients souffrant de cardiopathies conotroncales, il convient par exemple de faire des examens pour exclure une potentielle délétion 22q11 sous-jacente, même si rien n'indique la présence de caractéristiques syndromiques.
2. Adaptation de la prise en charge.
Dans le cas d'une pathologie aortique héréditaire, l'ampleur de la mise au point par imagerie vasculaire varie en fonction du défaut génique sous-jacent (aorte en cas de mutations FBN1; scan vasculaire de la tête au bassin en cas de mutations TGFBR1/2).
Par ailleurs, la présence de certaines mutations modifie l'intensité du suivi et les seuils de prise en charge de certaines affections (ex dilatation de la racine aortique avec ou sans mutation FBN1 et désir de grossesse).
3. Informations concernant les prévisions à long terme et les complications.
Chez les patients souffrant du syndrome de Noonan (entre autre mutations PTPN11), il convient de prêter attention au développement tardif d'une cardiomyopathie hypertrophique.
4. évaluation du risque pour la descendance.
En cas de maladies autosomiques dominantes, le risque de transmission de l'allèle est par définition de 50 %. Dans le cas des cardiopathies congénitales, le risque dépend du type de défaut cardiaque considéré et du sexe du patient porteur de la cardiopathie congénitale (p. ex. supérieur en cas de CAV par rapport à CIA ; la mère ou le père ou le frère/la soeur de l'enfant est affecté - généralement risque supérieur si mère affectée).
5. Discussion des options pour limiter le risque de transmission.
Des alternatives comme adoption, don d'ovules/de spermatozoïdes et mère porteuse peuvent être abordées. En présence de mutation sous-jacente, un diagnostic prénatal ou pré-implantatoire peut être offert. Lors du diagnostic prénatal, il est possible de procéder très tôt dans la grossesse à une ponction de villosités placentaires pour évaluer le risque foetal et interrompre potentiellement la grossesse en cas de port de la mutation. Lors du diagnostic pré-implantatoire, on procède, par le biais d'une procédure fécondation in vitro, à des tests sur les embryons et seuls les embryons non porteurs sont replacés.
Quand?
En cas de désir de grossesse, la consultation doit être proposée à temps, c'està- dire largement avant l'éventuelle grossesse. Il est recommandé de le faire au moment du diagnostic chez des adultes, au moment de la transition ou lors d'un désir de grossesse concret.
Comment?
Le processus de consultation se déroule en différentes étapes, lors desquelles le patient/la famille est d'abord informé(e) des possibilités. Si des tests ciblés sont possibles, il faudra, dans une deuxième étape, procéder à une prise de sang pour examen chromosomique ou examen ADN. Différents niveaux sont ici à distinguer: en cas de suspicion d'anomalie chromosomique, il faudra procéder à un examen chromosomique par micro-array qui permet d'également déceler des petites variantions de nombre telles des délétions, comme la délétion 22q11. Pour diagnostiquer les maladies monogénétiques, on a recours à des techniques de séquençage, où le séquençage de l'exome entier doit être considéré. Il passera prochainement au séquençage du génome entier. Les détails de ces techniques ne font pas l'objet de cet exposé. Il faut savoir que ces nouvelles techniques permettent non seulement de poser nombre de nouveaux diagnostics mais suscitent aussi nombre de questions dans la recherche de variantes de causalité inconnue. La consultation de conseil génétique est fondamentale dans cette démarche pour l'interprétation et la communication appropriée de ces résultats aux patients.
Lectures recommandées
- Regitz-Zagrosek, V. et al. 2018 ESC Guidelines for the management of cardiovascular diseases during pregnancy. Eur Heart J, 2018, 39 (34), 3165-3241.
- Pierpont, M.E. et al. Genetic Basis for Congenital Heart Disease: Revisited: A Scientific Statement From the American Heart Association. Circulation, 2018, 138 (21), e653-e711.
- Roos-Hesselink, J. et al. 2019. Pregnancy outcomes in women with cardiovascular disease: evolving trends over 10 years in the ESC Registry Of Pregnancy And Cardiac disease (ROPAC). Eur Heart J, 2019, ehz136.
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