Les patients qui se présentent aux urgences pour une douleur thoracique laissant suspecter un syndrome coronarien aigu représentent un important challenge dans la médecine d'urgence. La douleur thoracique fait partie des symptômes relevant de la médecine interne pour lesquels les patients se présentent le plus souvent au service des urgences. Dans les pays où la médecine générale est moins bien développée, aucune affection spécifique n'est constatée chez 40-50 % des patients. L'hospitalisation de ces patients, motivée par la crainte de passer à côté d'un syndrome coronarien aigu, représente un important coût médical inutile. Un diagnostic raté d'infarctus aigu du myocarde et une sortie inopportune des urgences peuvent, à leur tour, avoir de désagréables conséquences sur le plan juridique.
Pour éviter les hospitalisations inutiles et les sorties inopportunes, il a été décidé d'instaurer des chest pain units (CPU), où les patients peuvent être observés pendant une brève période (6 à 8 heures) et où une évaluation clinique est réalisée suivant un itinéraire diagnostique prédéfini, permettant d'exclure avec une grande certitude la présence d'un syndrome coronarien aigu1. Une CPU nécessite une unité d'observation distincte au sein des urgences ou du service de cardiologie, disposant d'un monitoring ECG continu et d'une équipe d'infirmiers aux compétences particulières, travaillant sous la supervision d'un cardiologue. Le maintien d'une telle unité fonctionnelle 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, exige une importante mobilisation de personnes et de moyens, ce qui - combiné à l'absence d'une reconnaissance légale - a limité le nombre d'hôpitaux belges ayant pu aménager une CPU. Dans la plupart des établissements hospitaliers, les patients qui se présentent avec une douleur thoracique sont admis et mis en observation au service des urgences, sous la responsabilité d'un médecin urgentiste. à présent que la médecine d'urgence est devenue une spécialité médicale bénéficiant d'une reconnaissance légale, ces collègues endossent une plus grande responsabilité qu'autrefois vis-à-vis des patients admis aux urgences avec une pathologie cardiaque.
La nécessité d'organiser des CPU s'est fortement atténuée grâce au développement d'itinéraires diagnostiques accélérés et à l'introduction d'analyses biologiques plus sensibles et plus spécifiques pour la détection d'une nécrose myocardique2-4. Aujourd'hui, la mesure de la troponine cardiaque (cTn) a supplanté les anciennes 'enzymes cardiaques' aspécifiques. L'introduction des dosages hypersensibles de la cTn (hs cTn), avec leur faible limite de détection, a encore contribué au raccourcissement considérable de l'algorithme diagnostique pour l'exclusion et le diagnostic d'un syndrome coronarien aigu.
Les dernières recommandations en date de l'ESC préconisent un algorithme diagnostique incluant un dosage hs cTn à l'admission et 3 heures plus tard pour l'exclusion ou le diagnostic d'un infarctus aigu du myocarde5. Les patients chez qui un infarctus aigu du myocarde a été exclu peuvent, selon ces recommandations, être renvoyés à la maison sans autre hospitalisation à condition que leur score GRACE soit inférieur à 140. Le score GRACE est, à l'instar du score TIMI, principalement axé sur la prédiction du (mauvais) pronostic des patients avec syndrome coronarien aigu et n'est pas validé pour la sélection de patients à faible risque se plaignant de douleurs thoraciques, qui peuvent directement quitter les urgences pour rejoindre leur domicile, sans passer par la case hospitalisation. Les patients atteignant un score GRACE supérieur à 140 représentent un sous-groupe à haut risque parmi les patients avec syndrome coronarien aigu qui entrent en considération pour une coronarographie en urgence. Rien ne prouve cependant que les patients dont le score GRACE est inférieur à 140 puissent être renvoyés chez eux en toute sécurité.
En Australie et aux états-Unis, des itinéraires diagnostiques abrégés (ADAPT et ASPECT) ont été développés sur la base du score TIMI et d'un dosage cTn à l'admission (éventuellement répété après 2 heures), permettant de renvoyer chez eux 20 à 40 % des patients qui se présentent aux urgences pour une douleur thoracique. Plus près de nous, le score HEART (tableau 1) a été développé aux Pays-Bas dans l'objectif plus ciblé d'identifier les patients à faible risque, qui peuvent sans danger rentrer à la maison sans autre observation. En parfaite conformité avec le diagnostic clinique normal, le score HEART est calculé sur la base des symptômes typiques (History), troubles de repolarisation d'allure ischémique (Ecg), âge avancé (Age), facteurs de risque coronarien (Risk factors) et élévations des valeurs cTn à l'admission (Troponin). Plusieurs études ont démontré que 30-45 % des patients qui se présentent aux urgences pour une douleur dans la poitrine peuvent être renvoyés sans danger chez eux sur la base d'un score HEART ≤ 3. Autre score de risque clinique, le score EDACS a été développé en Australie. Le calcul de ce score nécessite l'utilisation d'une calculette, ce qui n'est pas très évident lorsque vous êtes à côté du lit du patient. Parmi les différents scores permettant de détecter les patients à faible risque, qui entrent en ligne de compte pour une sortie immédiate sans autre hospitalisation, le score HEART est le plus pratique en clinique. Bien que ce critère ait une valeur prédictive négative élevée (99 %), il n'est cependant pas infaillible et ne peut malgré tout empêcher de passer à côté d'un infarctus aigu du myocarde dans 1 % des cas6.
L'application de l'algorithme H0/H3 de l'ESC exige quand même une période d'observation de 4-5 heures aux urgences, ce qui n'est pas favorable au roulement des patients. L'utilisation de dosages hs cTn validés permet de raccourcir considérablement la période d'observation, en prélevant un échantillon sanguin à l'admission, puis 1 heure plus tard, chez les patients qui ne se rendent pas aux urgences rapidement après l'apparition des symptômes. Cet algorithme H0/H1 de l'ESC abrégé a déjà été validé par diverses études et est peut-être appelé à devenir, à terme, l'itinéraire diagnostique standard pour l'exclusion et le diagnostic de l'infarctus aigu du myocarde.
Dans une récente étude multicentrique internationale (figure 2), l'algorithme H0/H1 de l'ESC moyennant une troponine hs cTn a permis d'exclure ou de diagnostiquer un infarctus aigu du myocarde chez 75 % des patients (57 % d'exclusions et 18 % de diagnostics)7. Le résultat de cet algorithme avait aussi une importante valeur pronostique: les patients chez qui un infarctus aigu du myocarde avait été exclu ont présenté une très faible mortalité à 1 mois et à 1 an (0,8 à 1,0 %), 13 x inférieure à celle des patients avec infarctus aigu du myocarde. L'exclusion d'un infarctus myocardique aigu se fait moyennant une valeur prédictive négative très élevée (99,7 %). La valeur prédictive positive de cet algorithme est plus faible (62,3 à 74,5 %), essentiellement du fait que les mesures hs cTn détectent aussi d'autres formes de lésions myocardiques. Le même constat est ressorti des résultats de l'étude High STEACS (figure 3), publiée dernièrement: l'utilisation du test hs cTn a entraîné la reclassification de 17 % des patients (soit un sur six) initialement considérés négatifs pour l'infarctus aigu du myocarde sur la base de la cTn classique8. Seul un tiers des patients reclassés sur la base du dosage hs cTn avait un infarctus du myocarde de type 1. Une grande part des patients reclassés se composait de femmes souffrant de fibrillation auriculaire. La majorité de ces patients n'ont certes pas eu d'infarctus aigu du myocarde de type 1 consécutif à un syndrome coronarien aigu au niveau des coronaires épicardiques, mais plutôt un infarctus du myocarde de type 2 consécutif à des besoins accrus en oxygène du myocarde pendant une tachycardie ou une autre forme de lésions myocardiques. De manière quelque peu décevante, l'utilisation de dosages hs cTn durant la phase d'implémentation de l'étude High STEACS ne s'est pas accompagnée d'une quelconque amélioration pronostique par rapport à la phase de validation de l'étude, lors de laquelle les dosages cTn classiques étaient utilisés pour le diagnostic. D'une part, cela peut s'expliquer par l'utilisation de moindres valeurs limites du 99e percentile pour les femmes, ce qui a pu conduire à la détection plus fréquente d'autres formes de lésions myocardiques (tant aigües que chroniques). D'autre part, les dosages hs cTn sériés n'ont pas été généralisés à tous les patients.
En résumé, l'introduction de dosages hs cTn utilisant des algorithmes diagnostiques représente une avancée considérable, qui permet d'exclure avec un grand degré de certitude et dans un délai bien plus court un syndrome coronarien aigu chez un grand nombre de patients, ce qui rend quasi obsolète l'organisation de CPU. Au vu de la valeur prédictive négative élevée et de la très faible mortalité à 30 jours et à 1 an, ces patients peuvent être renvoyés chez eux sans danger, sans devoir subir une pléiade d'examens complémentaires. Compte tenu de la haute précision et de la grande efficacité diagnostiques des algorithmes hs cTn, les itinéraires cliniques abrégés qui utilisaient des scores cliniques sont aussi frappés d'obsolescence. Si les scores cliniques sont utilisés malgré tout, le score HEART est plus indiqué que les scores GRACE et TIMI étant donné qu'il suit de beaucoup plus près le raisonnement clinique normal. Le talon d'Achille des nouveaux algorithmes basés sur les dosages hs cTn est la détection plus fréquente de lésions myocardiques non ischémiques. Il importe, dans ce cadre, d'abandonner le diagnostic de l'infarctus aigu du myocarde dans les termes binaires de positif et négatif et de veiller à la dynamique et à la continuité du spectre des lésions myocardiques chez les patients avec un syndrome coronarien aigu, ainsi qu'aux différentes formes de lésions myocardiques non ischémiques. Contrairement aux convictions des décideurs en matière de soins de santé, qui veulent réduire les soins pour les affections cardiaques ischémiques à un nombre limité de scénarios de soins à basse variabilité, le diagnostic des affections cardiaques ischémiques allie complexité et haute variabilité. Le cardiologue a dès lors son rôle à jouer en la matière, lui qui doit encore plus qu'avant poser le bon diagnostic cardiaque en intégrant l'anamnèse, l'examen physique, les résultats ECG, les biomarqueurs et l'échocardiographie. Non, le cardiologue n'a pas encore fait son temps ...
Références
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