C'est à Munich, à l'occasion du congrès 2018 de l'ESC, qu'ont été présentés les résultats de l'étude ASCEND, une étude randomisée à grande échelle ayant évalué l'effet de l'acide acétylsalicylique et d'acides gras oméga 3 en prévention cardiovasculaire primaire chez 15 480 patients diabétiques.
étude ASCEND
Les professeurs J. Armitage et L. Bowmann de l'université d'Oxford, au Royaume-Uni, ont présenté les résultats tant attendus de l'étude ASCEND en leur qualité de représentantes de l'ASCEND Study Collaborative Group. L'étude tentait de répondre à la question clinique pertinente de savoir si une faible dose de 100 mg d'acide acétylsalicylique ou de 1 g d'acides gras oméga 3 par jour est utile en prévention cardiovasculaire primaire chez des patients diabétiques, par rapport à un placebo.1, 2
Il s'agit d'une vaste étude randomisée, pour laquelle des patients issus de registres régionaux du diabète ont été recrutés par le biais d'une enquête. Après une phase de préinclusion de 8-10 semaines, durant laquelle les sujets ont reçu un placebo pour les acides gras oméga 3 et un placebo pour l'acide acétylsalicylique, les patients faisant montre d'une motivation importante et d'une participation correcte ont été définitivement inclus dans l'étude. Tous les six mois, une enquête leur était adressée en vue du suivi des effets indésirables, des critères d'évaluation de l'étude et de l'observance thérapeutique.
Au total, 15 480 patients diabétiques ont été inclus (dont 94 % de diabétiques de type 2). Les patients inclus avaient plus de 40 ans (moyenne de 63 ans) et étaient diabétiques depuis 7 ans en moyenne. Le taux d'HbA1c s'élevait en moyenne à 7,2 %.
Le plan de l'étude était de type factoriel, les patients étant randomisés vers la prise, d'une part, de 1 g d'acides gras oméga 3 (n = 7 740) ou de placebo à base d'huile d'olive (n = 7 740) et, d'autre part, de 100 mg d'acide acétylsalicylique (n = 7 740) ou de placebo (n = 7 740) (figure 1). Le suivi moyen a duré 7,4 ans, le critère d'évaluation primaire étant le premier événement vasculaire grave, défini comme un infarctus du myocarde non fatal ou un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, un accident ischémique transitoire (AIT) ou le décès d'origine vasculaire. Le critère d'évaluation primaire de sécurité était l'incidence d'une hémorragie majeure, c.-à-d. hémorragie intracrânienne, hémorragie intra-oculaire avec atteinte visuelle, hémorragie gastro-intestinale ou autre hémorragie majeure débouchant sur une hospitalisation, une transfusion ou le décès. Les critères d'évaluation secondaires de l'étude ASCEND étaient l'incidence d'une tumeur maligne du tractus gastro-intestinal et l'ensemble de chacun des événements vasculaires graves ou de procédure de revascularisation artérielle.
L'acide acétylsalicylique a-t-il sa place dans la prévention cardiovasculaire primaire chez les diabétiques?
Le Pr J. Armitage a détaillé les données du bras acide acétylsalicylique de l'étude.1 L'acide acétylsalicylique est une valeur sûre dans la prévention secondaire des maladies cardiovasculaires occlusives mais, chez les individus en bonne santé, l'effet protecteur contre les événements ischémiques est largement supplanté par l'augmentation du risque hémorragique. Le diabète est associé à un risque cardiovasculaire 2 à 3 fois plus élevé, qui justifie la prescription fréquente d'acide acétylsalicylique. Pourtant, rien n'indique clairement que l'acide acétylsalicylique doive être prescrit systématiquement aux patients diabétiques. D'autant plus que le risque hémorragique associé à l'acide acétylsalicylique est inconnu en prévention primaire.
Les patients ont été randomisés pour recevoir 100 mg d'acide acétylsalicylique par jour ou un placebo. Pendant le suivi moyen de 7,4 ans, environ 30 % de permutations ont été enregistrées. L'étude a révélé une incidence significativement inférieure d'événements vasculaires graves dans le groupe acide acétylsalicylique (8,5 %) par rapport au groupe placebo (9,6 %) (RR = 0,88; IC à 95 %: 0,79-0,97; p = 0,01). Il est donc question d'une réduction du risque relatif de 12 % (figure 2). La différence de risque avait déjà été relevée durant les 5 premières années de traitement, sans autre augmentation du bénéfice par la suite. Les investigateurs n'ont pas démontré d'effet significatif de l'acide acétylsalicylique sur la mortalité vasculaire.
Le revers de la médaille est une augmentation significative des hémorragies majeures dans le groupe acide acétylsalicylique (4,1 % vs 3,2 % dans le groupe placebo (RR = 1,29; IC à 95 %: 1,09-1,52; p = 0,003)), soit 29 % d'augmentation du risque relatif d'hémorragie résultant de la prise d'acide acétylsalicylique (figure 2).
Les hémorragies majeures les plus fréquentes sont les hémorragies gastro-intestinales (41,3 %), suivies des hémorragies intra-oculaires altérant la vue (21,1 %), des hémorragies intracrâniennes (17,2 %) et des hémorragies d'autre origine, telles qu'hématurie ou épistaxis (20,4 %). L'incidence d'hémorragies fatales (0,2 %) et d'AVC hémorragiques (0,3 %) était similaire entre le groupe acide acétylsalicylique et le groupe placebo. L'incidence d'hémorragies majeures augmente avec le risque vasculaire. Les avantages et les inconvénients d'une faible dose d'acide acétylsalicylique en prévention primaire s'annulent donc en grande partie, y compris chez les patients à haut risque cardiovasculaire à 5 ans, de l'ordre de > 10 %. Il n'a pas non plus été possible de démontrer un net bénéfice clinique de l'acide acétylsalicylique dans un quelconque sous-groupe spécifique.
Compte tenu de la difficulté de comparer la sévérité de la morbidité des événements vasculaires occlusifs et des hémorragies provoquées, il demeure néanmoins compliqué d'évaluer les avantages et les inconvénients de l'acide acétylsalicylique. Il convient toutefois de garder en tête que 41 % des hémorragies majeures étaient d'origine gastro-intestinale et qu'un quart des participants seulement prenait des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). La prise d'IPP pourrait peut-être abaisser l'incidence d'hémorragies gastro-intestinales hautes. Le Pr J. Armitage a dès lors souligné que le choix d'instaurer l'acide acétylsalicylique en prévention primaire est fortement lié à l'individu et qu'il doit être considéré en concertation avec le patient.
L'acide acétylsalicylique ayant un effet favorable potentiel contre la survenue d'un cancer, le Pr J. Armitage a également détaillé ce critère d'évaluation secondaire.
Malheureusement, l'étude ASCEND n'a pu démontrer d'effet protecteur significatif de l'acide acétylsalicylique ni sur les tumeurs malignes du tractus gastro-intestinal ni sur d'autres cancers (tumeurs urogénitales, cancers de l'appareil respiratoire, cancers hématologiques, cancer du sein et mélanomes). Ce résultat contraste avec les méta-analyses d'études randomisées menées avec une faible dose d'acide acétylsalicylique, qui suggéraient une réduction du risque de cancer ou de décès de l'ordre de 15 à 20 %.3
Mais aujourd'hui, l'étude randomisée prospective ASCEND démontre qu'il n'existe aucun effet protecteur, bien qu'on ne puisse exclure un effet à plus long terme et qu'une durée de suivi plus longue s'impose.
Acides gras oméga 3
De son côté, le Pr L. Bowman a présenté les résultats du bras acides gras oméga 3 de l'étude.2
Des études observationnelles donnaient à penser qu'une prise accrue d'acides gras oméga 3 allait de pair avec un risque réduit de maladie cardiovasculaire. La consommation de poisson, une à deux fois par semaine, était ainsi associée à un moindre risque de cardiopathie. La consommation de 40 à 60 g de poisson par jour - ce qui représente entre 0,2 et 1 g d'acides gras oméga 3 par jour - entraînerait une réduction de 50 % de la mortalité cardiovasculaire. Les études randomisées n'ont cependant jamais confirmé ces résultats de manière systématique. Une récente méta-analyse n'est pas parvenue à objectiver une incidence significativement réduite de maladies coronariennes ou d'événements vasculaires majeurs en cas de prise d'acides gras oméga 3.4 Les recommandations américaines préconisent néanmoins l'utilisation d'acides gras oméga 3 en prévention secondaire des coronaropathies, et la consommation de poisson en prévention primaire.5
L'étude ASCEND a comparé l'efficacité et la sécurité d'une telle supplémentation en acides gras oméga 3 avec un placebo. Les patients y ont été randomisés pour recevoir des gélules à 1 g contenant soit 840 mg d'acides gras oméga 3 issus de poissons (460 mg d'acide eicosapentaénoïque (EPA) et 380 mg d'acide docosahexaénoïque (DHA) dans le groupe oméga 3 (n = 7 740)), soit de l'huile d'olive dans le groupe placebo (n = 7 740).
L'observance thérapeutique moyenne était de 77 % dans le groupe oméga 3. L'indice oméga 3 - la teneur en EPA et DHA des membranes des globules rouges -, exprimé en pourcentage d'acides gras, a été mesuré chez 152 patients sélectionnés aléatoirement. Il y avait peu de changement dans le groupe placebo (6,6 % à l'inclusion vs 6,5 % au suivi), alors qu'une hausse de 7,1 % à 9,1 % s'est dégagée dans le groupe acides gras, ce qui représente une augmentation relative de 32,5 % par rapport au placebo.
En dépit de l'augmentation de l'indice oméga 3 dans le groupe acides gras, il n'y a pas eu de différences significatives au niveau des critères d'évaluation primaires et secondaires par rapport au groupe placebo. Les investigateurs ont recensé des événements vasculaires graves chez 8,9 % des patients du groupe acides gras vs 9,2 % dans le groupe placebo (RR = 0,97; IC à 95 %: 0,87-1,08; p = 0,55) (figure 3).
Pour ce qui concerne les critères d'évaluation secondaires (événements vasculaires graves non repris dans le critère d'évaluation primaire et procédures de revascularisation), il n'y a pas eu de différence significative entre le groupe oméga 3 (11,4 %) et le groupe placebo (11,5 %) (RR = 1,00; IC à 95 %: 0,91-1,09).
Une analyse de sous-groupes n'a pas davantage apporté la preuve que l'effet de la prise d'acides gras oméga 3 variait en fonction qu'on y associait l'acide acétylsalicylique ou un placebo pour l'acide acétylsalicylique (p = 0,71 pour l'interaction).
Il n'y a pas eu de différences significatives de mortalité entre les deux groupes (9,7 % dans le groupe oméga 3 vs 10,2 % dans le groupe placebo; RR = 0,95; IC à 95 %: 0,86-1,05). Enfin, il n'y a pas eu de différences significatives entre les groupes pour ce qui concerne les cancers d'issue fatale ou non fatale.
Conclusions
L'étude ASCEND a démontré qu'une faible dose d'acide acétylsalicylique de 100 mg par jour en prévention primaire chez les diabétiques entraîne une réduction du risque d'événements vasculaires de l'ordre de 12 %, mais s'accompagne d'une augmentation des hémorragies majeures de 29 %. En chiffres absolus, les avantages et les inconvénients d'une faible dose d'acide acétylsalicylique s'annulent. Sur un suivi moyen de 7,4 ans, une faible dose d'acide acétylsalicylique n'implique pas un moindre risque de tumeurs du tractus gastro-intestinal ou d'autres cancers.
La prise quotidienne de gélules à 1 g d'acides gras oméga 3 en prévention primaire chez les diabétiques n'a pas débouché sur une moindre incidence d'événements vasculaires graves après un suivi de 7,4 ans. En résumé, nous pouvons affirmer que ces résultats n'étayent pas les recommandations actuelles en faveur d'une supplémentation systématique en acides gras oméga 3 en prévention d'événements vasculaires chez les patients diabétiques.
Références
- ASCEND Study Collaborative Group. Effects of Aspirin for Primary Prevention in Persons with Diabetes Mellitus. N Engl J Med, 2018, 379 (16), 1529-1539.
- ASCEND Study Collaborative Group. Effects of n−3 Fatty Acid Supplements in Diabetes Mellitus. N Engl J Med, 2018, 379, 1540-1550.
- Rothwell, P., Wilson, M., Elwin, C., Norrving, B., Algra, A., Warlow, C. et al. Longterm effect of aspirin on colorectal cancer incidence and mortality : 20-year follow-up of five randomised trials. Lancet, 2010, 376, 1741-1750.
- Aung, T., Halsey, J., Kromhout, D., Gerstein, H.C., Marchioli, R., Tavazzi, L. et al. Associations of Omega-3 Fatty Acid Supplement Use With Cardiovascular Disease Risks. JAMA Cardiol, 2018, 3, 225-234.
- Smith, S.C., Benjamin, E.J., Bonow, R.O., Braun, L.T., Creager, M.A., Franklin, B.A. et al. AHA/ACCF secondary prevention and risk reduction therapy for patients with coronary and other atherosclerotic vascular disease: 2011 update: A guideline from the American Heart Association and American College of Cardiology Foundation. Circulation, 2011, 124, 2458-2473.
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