Symposium en marge du congrès 2018 de l'ESH (European Society of Hypertension)
Introduction
Maria Dorobantu (Roumanie) ouvre le symposium en posant une question: 'Pourquoi est-il nécessaire d'optimiser les soins du patient hypertendu?'. La réponse est simple:
parce que:
- plus de 1,8 million d'Européens décèdent de maladies cardiovasculaires;
- l'hypertension occupe la première place du top 20 des facteurs de risque;
- la prévalence de l'hypertension stagne à un haut niveau ou augmente encore;
- en dépit des progrès majeurs enregistrés dans le traitement (tant pharmacologique qu'interventionnel), le contrôle tensionnel est toujours loin d'être optimal, et ce, à l'échelle mondiale.
L'optimisation du contrôle tensionnel n'est pas uniquement l'affaire du traitement pharmacologique. D'autres facteurs revêtent une importance tout aussi cruciale, notamment l'établissement d'un diagnostic précoce et correct, la conscientisation de la population, l'amélioration de l'observance thérapeutique et la réduction de l'inertie médicale.
De la prise de conscience au diagnostic: une transition-clé dans la prise en charge de l'hypertension
Stefano Taddei (Italie) commence par le cas d'un homme de 59 ans, chez qui une tension élevée a été constatée 10 ans plus tôt et à qui le généraliste de l'époque a proposé quelques mesures hygiéno-diététiques et une prise de tension hebdomadaire. Les interventions hygiéno-diététiques ont fait long feu et, comme le patient ne ressentait aucun symptôme, il n'a pas surveillé sa tension. Un récent contrôle ayant révélé une tension de 176/108 mmHg, le patient s'est décidé à consulter un spécialiste de l'hypertension. L'examen clinique a objectivé un surpoids (IMC de 29 kg/m2), une tension artérielle moyenne (trois mesures) de 168/108 mmHg, un rythme cardiaque régulier et une auscultation cardiaque et pulmonaire normale. L'ecg a quant à lui révélé un rythme sinusal régulier de 55 bpm, sans mettre au jour de critères d'hypertrophie ventriculaire gauche (HVG). L'échocardiogramme a montré une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, une fonction systolique normale du ventricule gauche et une relaxation retardée. Le duplex des vaisseaux du cou a illustré une plaque au niveau de la bifurcation carotidienne, sans sténoses significatives. Enfin, les analyses de laboratoire ont révélé un cholestérol total et un cholestérol LDL élevés, avec un cholestérol HDL dans la tranche inférieure de la normale. Le diagnostic a donc été établi comme suit: hypertension essentielle et haut risque cardiovasculaire (lésion d'organe cible, HVG, plaques, lourds antécédents familiaux d'hypertension et de maladies coronariennes, excès de poids et hypercholestérolémie).
L'hypertension est un tueur silencieux et invisible, qui provoque rarement des symptômes. La sensibilisation du grand public en la matière joue un rôle-clé dans sa détection précoce. Une élévation de la pression artérielle est un sérieux signal d'alarme indiquant qu'il est nécessaire de changer d'urgence de mode de vie. Les gens doivent savoir pourquoi l'hypertension est dangereuse et comment il faut s'y prendre pour la maîtriser (citation du Dr Margaret Chan, Directeur général de l'OMS). Dans sa projection évaluant la charge mondiale de l'hypertension pour l'année 2025, Taddei arrive à 29,2 % de la population adulte mondiale atteinte d'hypertension, soit 1,56 milliard d'adultes dont 20 % dans les pays développés et 80 % dans les pays en développement, la prévalence maximale étant prévue dans les continents en développement (Asie et Afrique, avec 75 % de tous les patients hypertendus du monde). La WHL (World Hypertension League), une organisation caritative regroupant les sociétés et ligues régionales et nationales de l'hypertension, appelle les sociétés nationales de l'hypertension à organiser des actions de santé publique afin d'augmenter la conscientisation générale sur les points suivants: 1) L'hypertension est en grande partie évitable, mais constitue une menace permanente pour le bienêtre et est le principal facteur de risque de décès et d'invalidité à l'échelle mondiale. 2) L'hypertension résulte principalement des mauvaises habitudes alimentaires (surtout une consommation excessive de sel), de l'inactivité physique, de l'obésité et d'une consommation excessive d'alcool. 3) L'hypertension peut être détectée et traitée facilement et à moindre coût, moyennant un contrôle régulier de la tension artérielle et un traitement efficace de l'hypertension, ainsi qu'un combat en faveur de la mise à disposition de tous d'antihypertenseurs à prix abordables.
Par ailleurs, le Pr Taddei souligne l'importance de définir le profil de risque cardiovasculaire des patients (figure 1). La stratification du risque cardiovasculaire et de l'hypertension chez le patient du cas présenté montre qu'il courait un risque additionnel élevé (hypertension de grade 2 + hypercholestérolémie + lourds antécédents familiaux + excès de poids + lésion d'organe cible). Partant de là, le patient doit non seulement modifier ses habitudes hygiéno-diététiques, mais aussi entamer une pharmacothérapie. Chez ce patient, une détection précoce de l'hypertension peut ainsi influer sur le pronostic, par l'abaissement des valeurs tensionnelles et la prise en charge de la lésion d'organe cible. à l'instauration de la pharmacothérapie se posent les questions suivantes: quelle classe et quelle molécule utiliser? Le traitement peut-il être choisi sur la base de preuves scientifiques, en ce compris les résultats d'études contrôlées randomisées? Chez cet homme, les objectifs du traitement antihypertenseur sont l'atteinte d'un contrôle tensionnel efficace sur 24 heures, la régression de l'HVG, l'induction d'un effet antiathéroscléreux et la prévention des atteintes coronariennes, rénovasculaires et cérébrovasculaires. Les classes d'antihypertenseurs disponibles sont les bêtabloquants, les diurétiques, les antagonistes calciques, les inhibiteurs de l'ECA (IECA) et les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine 2 (ARA), les α-bloquants et les antihypertenseurs d'action centrale. Pour le patient hypertendu présenté, souffrant d'HVG et d'athérosclérose asymptomatique, les classes les plus indiquées sont les IECA, les antagonistes calciques et les ARA. La question-clé est celle-ci: tous les inhibiteurs du SRAA sont-ils identiques? Utiliser un IECA ou un ARA revient-il au même? Le système rénine-angiotensine se compose d'un système circulant classique, avec des effets aigus et des effets à court terme et un contrôle tensionnel (10 %), et d'un système tissulaire local, avec des effets à long terme et une homéostasie tissulaire (90 %). Les IECA inhibent l'angiotensine II et augmentent la bradykinine, tandis que les ARA bloquent le récepteur AT1, augmentent l'angiotensine II et n'ont aucun impact sur la bradykinine. Un effet différentiel des inhibiteurs du SRAA sur les événements coronariens a été démontré dans la méta-régression BPLTTC (BP lowering Treatment Trialists Collaboration)1, les effets indépendants de la tension artérielle sur le risque d'événements coronariens majeurs n'ayant été démontrés que pour les IECA. Une méta-analyse d'études contrôlées randomisées sur l'effet d'inhibiteurs du SRAA sur la mortalité, incluant 158 998 patients hypertendus, a démontré que les IECA réduisent la mortalité totale de 10 % (HR 0,90, 95 % CI 0,84-0,97, p = 0,004)2. Trois autres méta-analyses portant sur 61 264 patients diabétiques3, 37 148 patients coronariens4 et 108 212 patients à haut risque5 ont également révélé une réduction du taux de mortalité de 10 à 15 % pour les IECA, tandis qu'aucune réduction significative du taux de mortalité n'a pu être objectivée pour les ARA. Le périndopril, qui est un IECA, abaisse significativement la tension artérielle6 et présente le meilleur 'trough to peak ratio'7. Diverses études démontrent un effet vasculoprotecteur via les critères de substitution de la fonction endothéliale, de la vitesse des ondes pulsatiles, de la distensibilité carotidienne et des plaques athéroscléreuses. Le tableau 1 illustre les résultats de grandes études cliniques avec le périndopril sur les critères d'évaluation incontestables.
Clôturant son plaidoyer, le Pr Taddei est revenu sur le même cas, où le patient a été mis sous régime hyposodé et hypocalorique, associé à une activité physique pratiquée au moins 4 x par semaine. Sur le plan pharmacologique, le traitement a débuté par 10 mg de périndopril par jour et 10 mg d'atorvastatine par jour, un premier contrôle étant prévu après deux mois. Les points-clés dégagés par le Pr Taddei dans ce cas sont les suivants: 1) La détection précoce de l'hypertension est un problème crucial à l'échelle mondiale. 2) La détection précoce de l'hypertension prévient l'apparition de lésions organiques, qui majorent considérablement le risque cardiovasculaire. 3) Le choix du traitement médicamenteux doit tenir compte des caractéristiques cliniques du patient et des preuves disponibles dans la littérature.
Atteindre les objectifs et stimuler l'observance thérapeutique: le grand défi
Alistair Hall (Royaume-Uni) poursuit encore un peu la présentation du cas précédent, soulignant que les valeurs cibles, en vertu des dernières recommandations en date, tant européennes qu'américaines, n'étaient pas atteintes après deux mois de traitement, mais mesurées à 156/96 mmHg, ce qui déclenche un vieillissement vasculaire prématuré. Le Pr Hall est alors passé à un traitement par un seul comprimé combiné, en se posant de nouveau la question: IECA ou ARA? Il cite la méta-analyse de Messerli et al., qui a démontré une efficacité similaire pour les IECA et les ARA, mais un profil de tolérance significativement meilleur pour les ARA8. Le Pr Hall tempère toutefois ce résultat, dans le sens où la comparaison n'était pas équitable du fait qu'elle comparait une faible dose d'un ancien IECA (captopril) avec une dose élevée d'ARA de dernière génération (études ELITE, OPTIMAAL, VALIANT avec le losartan et le valsartan). Qui plus est, les ARA ne se sont jamais révélés supérieurs au placebo en ce qui concerne la prévention de l'infarctus du myocarde ou du décès, et ce, contrairement aux IECA9. Compte tenu de l'efficacité supérieure du traitement combiné dans la tension artérielle élevée et comme les recommandations actuelles préconisent d'instaurer une polythérapie plus tôt, le Pr Hall enchaîne sur un plaidoyer en faveur des polythérapies. Les potentielles bithérapies qui reposent sur de vastes études sont des IECA, des ARA, des bêtabloquants ou des antagonistes calciques associés à des diurétiques, et des IECA ou des ARA associés à des antagonistes calciques. L'association d'IECA ou d'ARA et de diurétiques ou d'antagonistes calciques est à préférer du fait qu'elle dispose du plus grand nombre de données probantes quant à son effet favorable sur les critères d'évaluation incontestables tels que la mortalité, l'infarctus du myocarde et l'AVC10. L'ajout d'une molécule d'une autre classe à la dose standard abaisse les valeurs tensionnelles dans une mesure nettement supérieure (4 à 5 fois plus) par rapport au doublement de la dose du même médicament11. Quand on choisit une bithérapie, doit-on privilégier deux comprimés ou un comprimé combiné? L'étude AMPERES (AMlodipine-PERindopril in REal Settings) a démontré, après un an de suivi, que le relais par un comprimé combiné à doses fixes (FDC) produisait une observance thérapeutique améliorée de 23 % par rapport aux valeurs initiales, tandis que l'association libre de comprimés s'accompagnait d'une observance thérapeutique améliorée de 13 % par rapport aux valeurs initiales12. Que ce soit chez des nouveaux patients ou chez des patients expérimentés, l'observance thérapeutique est nettement plus élevée avec un comprimé combiné qu'avec les mêmes molécules données en association libre (mean medication possession ratio 13,31 (8,26-18,35) (p < 0,00001)13. La poursuite du traitement est, elle aussi, plus longue avec le comprimé combiné qu'avec une association libre d'antihypertenseurs (RR 1,86 (IC à 95 % 1,74-1,99)14.
Surmonter l'inertie thérapeutique pour assurer l'avenir de nos patients
Krzysztof Narkiewicz (Pologne) cite la première loi de Newton pour définir l'inertie. Un objet au repos restera au repos, sauf s'il est soumis à une action exercée par une force déséquilibrée. Un objet en mouvement poursuivra son mouvement à vitesse et à direction constantes, sauf s'il est soumis à une action exercée par une force déséquilibrée.
L'inertie peut intervenir au niveau diagnostique, empêchant de poser le diagnostic d'hypertension ou de constater qu'une hypertension traitée n'est pas maîtrisée. L'inertie peut aussi s'exprimer au niveau thérapeutique, empêchant l'instauration ou l'intensification d'un traitement. L'inertie peut encore toucher les mesures hygiéno-diététiques.
Souvent, les médecins interviennent trop tard et les patients courent un plus grand risque cardiovasculaire.
Le doute clinique concernant l'abaissement des valeurs tensionnelles élevées aux valeurs cibles augmente le risque cardiovasculaire des patients et contribue à la charge sanitaire et économique substantielle associée aux tensions non maîtrisées15.
Le contrôle tensionnel est correct dans 31-46 % (Europe occidentale et Royaume-Uni) à 63 % (états-Unis) des cas. L'intensification du traitement en raison d'une hypertension insuffisamment maîtrisée varie de 15-28 % (Europe occidentale et Royaume-Uni) à 38 % (états-Unis) des cas16. Entre 2005 et 2012, on a cependant observé une diminution de l'intensification du traitement de l'hypertension aux états-Unis. Mais cette tendance devrait s'inverser avec les nouvelles recommandations.
Divers facteurs participent à l'inertie clinique et forment un ensemble d'interactions dans lequel le médecin, le patient et tout l'entourage sont impliqués. L'inertie clinique du médecin peut entraîner une mauvaise observance thérapeutique du patient qui, à son tour, peut renforcer l'inertie du médecin. Pour surmonter cette inertie, le Pr Narkiewicz préconise l'approche suivante: 1) mesures correctes de la tension, 2) plan de traitement basé sur des données probantes et 3) comprimés combinés. L'importance de démarrer sur des mesures tensionnelles correctes est tellement évidente que le Pr Narkiewicz ne s'étend pas davantage sur le sujet. Lorsqu'une personne vient en consultation avec des valeurs tensionnelles au-dessus des valeurs cibles, il convient d'instaurer un traitement conforme aux recommandations (un médicament ou un comprimé combiné à doses fixes) et de planifier un contrôle après deux semaines. Si la tension est maîtrisée, le traitement doit être poursuivi tel quel. Si la tension n'est pas maîtrisée, les doses des antihypertenseurs doivent être augmentées. Si, après deux semaines, la tension n'est toujours pas sous contrôle, il y a lieu d'associer au moins deux ou trois classes d'antihypertenseurs. Ensuite, les valeurs tensionnelles doivent être mesurées à nouveau aux semaines 6 et 8. Si les valeurs cibles ne sont toujours pas atteintes, une classe antihypertensive doit encore être ajoutée (antagoniste de l'aldostérone, bêtabloquant ou autre) et/ ou le patient doit être adressé à un spécialiste de l'hypertension17 .
L'hypertension non maîtrisée touche souvent les patients qui prennent un ou deux médicaments18. Si l'hypertension n'est pas compliquée, le traitement peut en principe débuter avec n'importe quelle classe (diurétique, bêtabloquant, antagoniste calcique, IECA, ARA) et peut rapidement associer différentes classes. Les comprimés combinés incluent souvent un diurétique. à cet égard, le Pr Narkiewicz développe la place de l'indapamide. Les comparaisons directes démontrent que l'indapamide, à l'instar de la chlortalidone, est plus puissant que l'hydrochlorothiazide (HCTZ) en termes d'abaissement de la tension artérielle, sans engendrer davantage d'effets indésirables métaboliques19. L'indapamide améliore également le profil métabolique (baisse de l'urée, de la glycémie, du cholestérol LDL et des triglycérides) chez les patients hypertendus, ce qui en fait un diurétique approprié pour les diabétiques et/ou les patients souffrant d'un syndrome métabolique et d'hypertension20. Les diurétiques thiazidiques, comme l'indapamide, entraînent aussi un meilleur pronostic en ce qui concerne les événements cardiovasculaires et la mortalité21. L'indapamide a induit une baisse du critère d'évaluation principal des études HYVET (AVC), PROGRESS (AVC) et ADVANCE (événements micro- et macrovasculaires combinés) de 30 %, 28 % et 9 %, respectivement22-24. Dans ADVANCE, les résultats en matière de mortalité cardiovasculaire et de mortalité totale étaient en outre meilleurs lorsqu'un antagoniste calcique était utilisé à l'inclusion25. Compte tenu des preuves issues de grandes études contrôlées randomisées et du profil pharmacocinétique favorable, la trithérapie associant indapamide, périndopril et amlodipine s'est avérée efficace à tous les stades de l'hypertension et indépendamment de l'association utilisée précédemment26.
Pour conclure, le Pr Narkiewicz rappelle encore que l'inertie clinique, tant diagnostique que thérapeutique, contribue au mauvais contrôle tensionnel, que l'inertie clinique est très présente, qu'elle implique plusieurs facteurs et qu'elle peut être surmontée moyennant la réalisation de mesures tensionnelles correctes, la mise sur pied d'un plan de traitement sur la base de données probantes et l'utilisation de comprimés combinés.
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