Symposium pendant le congrès Heart Failure 2018 Du 26 au 29/05/2018, Vienne
Cet article est un résumé de la session « Carence en fer » qui s'est tenue le samedi 26/05/2018. Pendant cette session, le Dr P. Van Der Meer, le Pr Dr E. A. Jankowska, le Pr Dr S. D. Anker et le Pr Dr C. S. P. Lam se sont exprimés sur la carence en fer en tant que comorbidité chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque ainsi que sur l'intérêt d'un diagnostic et d'un traitement corrects. Une séance pratique a également été présentée sur l'approche de la carence en fer chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque en pratique clinique.
Métabolisme du fer
L'apport alimentaire quotidien de fer est d'environ dix à vingt milligrammes. De cette quantité, un à deux milligrammes sont absorbés par jour, principalement par les entérocytes du duodénum et du jéjunum proximal (figure 1). Le fer est ensuite transféré vers le sang, où il est transporté par la transferrine, notamment vers la moelle osseuse. Ainsi, 75 % du fer absorbé sera utilisé pour la synthèse de l'hémoglobine et l'érythropoïèse, 10 à 20 % seront stockés sous la forme de ferritine, notamment dans le foie et le coeur. Les 5 à 15 % restants seront utilisés pour d'autres processus. Il n'existe aucun mécanisme d'excrétion physiologique du fer ; enfin, un à deux milligrammes de fer par jour sont perdus par desquamation épithéliale. Les saignements sont une autre cause principale de perte du fer.1
La carence en fer en tant que comorbidité
Au niveau mondial, la carence en fer est la cause la plus fréquente d'anémie, et l'anémie a déjà été décrite comme étant un facteur prédictif indépendant de pronostic plus mauvais chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque (IC).2 Au sein d'une cohorte internationale de 1 506 patients atteints d'IC chronique, on a constaté que jusqu'à 50 % des patients avaient une carence en fer ; chez seulement 34 % de ces patients, la carence en fer était associée à une anémie.3 La carence en fer ne concerne donc pas que l'hémoglobine.
Chez les patients atteints d'IC chronique, une classe NYHA plus élevée, des taux plus élevés de NT proBNP, un volume corpusculaire moyen plus petit et le sexe féminin semblaient être de puissants facteurs prédictifs indépendants de carence en fer. La carence en fer elle-même s'avérait un important facteur prédictif indépendant de la mortalité, avec une valeur prédictive plus élevée que l'anémie.3 Chez les patients atteints d'IC, la carence en fer peut être associée à une anémie mais aussi souvent à une insuffisance rénale chronique. Si ces 3 comorbidités sont simultanément présentes, il s'agit de ce qu'on appelle le « syndrome d'anémie cardiorénale ». Le pronostic est plus mauvais lorsque la carence en fer est associée à une seule ou aux deux comorbidités.4
Formes de carence en fer
On distingue deux formes de carence en fer : absolue et fonctionnelle. Au cours de l'IC, la carence en fer absolue peut être causée par une diminution des réserves en fer suite à un saignement gastro intestinal (p. ex. après l'utilisation d'antiagrégants, d'anticoagulants ou d'AINS), à une malabsorption (p. ex. en cas d'oedème gastro-intestinal, de prise d'inhibiteurs de la pompe à protons) ou à une malnutrition. Au cours de l'IC, la carence en fer fonctionnelle peut être causée par une réduction de la mobilisation du fer en cas d'inflammation, associée à une production excessive d'hepcidine et à la libération de médiateurs pro-inflammatoires (p. ex. IL-6).5
Conséquences d'une carence en fer chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque
Chez les patients atteints d'IC, la carence en fer induit une diminution de la tolérance à l'effort (réduction de la VO2 max) et est associée à un pronostic plus mauvais, à une augmentation du nombre de dépressions et à une diminution de la qualité de vie.3, 5, 6 La diminution de la tolérance à l'effort est causée par l'effet du fer sur le métabolisme mitochondrial, le fer étant notamment essentiel à la formation d'ATP.7, 8 La carence en fer conduit ainsi à une diminution de la contractilité des cardiomyocytes.7
Diagnostic et traitement de la carence en fer chez les patients atteints d'IC
On parle d'une carence en fer lorsque les taux de ferritine sont inférieurs à 100 μg/l ou lorsque les taux de ferritine sont compris entre 100 et 299 μg/l et que la saturation de la transferrine (TSAT) dépasse 20 %.5 La ferritine est aussi une protéine de phase aiguë. Chez les patients atteints d'IC revenant à un état d'inflammation chronique de bas grade, les taux de ferritine peuvent donc être normaux, alors qu'il y a bien une carence en fer.9, 10
Les recommandations relatives au diagnostic indiquent de réaliser un dépistage de la carence en fer chez tous les patients atteints d'IC en mesurant les taux sériques de ferritine et la TSAT (recommandation de classe I).11 Il est également conseillé de traiter les patients symptomatiques ayant une insuffisance cardiaque associée à une réduction de la fraction d'éjection (HFrEF) et une carence en fer, de manière à améliorer les symptômes d'IC, la capacité à l'effort et la qualité de vie (recommandation de classe IIa) en administrant du fer par voie intraveineuse (IV) (FCM, Ferric Carboxymaltose, carboxymaltose ferrique).11 Cette recommandation a été émise en se basant sur les résultats des études FAIR-HF12 et CONFIRM-HF13. Au cours de l'étude FAIR-HF, l'évaluation « globale par le patient lui-même » et la classe NYHA présentaient une amélioration significative par rapport au groupe placebo après 24 semaines, tant chez les patients ayant une HFrEF et une carence en fer sans anémie que chez ceux ayant une carence en fer associée à une anémie.12 Il n'est pas recommandé d'administrer des suppléments de fer par voie orale. Au cours de l'étude clinique randomisée IRONOUT HF, aucune amélioration de la capacité à l'effort n'a été observée après 16 semaines d'un traitement de fer par voie orale.14 Une substitution efficace en fer par un traitement oral ne s'obtient qu'après des mois ; l'efficacité du traitement par voie intraveineuse est beaucoup plus rapide.
Sécurité du traitement de fer par voie IV
Au cours d'une méta-analyse récente réalisée par Anker et al., les données individuelles de patients issus de 4 études réalisées en double aveugle évaluant le traitement par FCM (Fer-CARS-01, FAIRHF, EFFICACY-HF et CONFIRM-HF), valides pour un total de 839 patients, ont été étudiées.15 Une réduction significative des hospitalisations répétées de cause CV et de la mortalité de cause CV a été observée (p = 0,009). Les hospitalisations répétées pour cause d'IC et la mortalité de cause CV (p = 0,011), les hospitalisations répétées de cause CV et la mortalité de toutes causes (p = 0,009) ainsi que les hospitalisations répétées pour cause d'IC et la mortalité de toutes causes (p = 0,011) étaient significativement plus faibles dans le groupe traité par FCM. Les hospitalisations de toutes causes et la mortalité de toutes causes ne différaient pas de manière significative entre les deux groupes (p = 0,06). Le nombre d'hospitalisations pour cause d'IC (p = 0,003) et d'hospitalisations de cause CV (p = 0,004) était également plus faible dans le groupe FCM. Le nombre d'hospitalisations de toutes causes n'était pas significativement différent (p = 0,056).15
Concrètement : traitement pratique de la carence en fer chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque - par le Pr Dr C. S. P. Lam
Dépister : qui et quand ?
- Bilan diagnostique pour tous les patients présentant un nouveau diagnostic d'IC (recommandation de classe I).11
- Opinion personnelle du Pr Lam : contrôler le statut en fer au moins 1 fois par an chez les patients atteints d'une IC établie, certainement lorsqu'ils sont symptomatiques.
Traiter : qui et quand ?
Administration de fer par voie IV (FCM) chez les patients symptomatiques ayant une HFrEF et une carence en fer, afin d'améliorer les symptômes d'IC, la capacité à l'effort et la qualité de vie (recommandation de classe IIa).11
Traiter : comment ?
- Les besoins initiaux en fer doivent être calculés en se basant sur le poids corporel et le taux d'hémoglobine (informations détaillées dans les notices du FCM).
- Le FCM peut être administré par voie IV sous la forme d'une injection bolus non diluée ou d'une perfusion diluée (informations détaillées dans les notices du FCM).
- La dose cumulative maximale recommandée de FCM est de 1 000 mg de fer par semaine.
Suivi du statut en fer : quand et à quelle fréquence ?
Il n'existe aucune recommandation concrète à ce sujet. Le Pr Lam conseille d'évaluer à nouveau le statut en fer 3 mois après l'administration IV. Si le déficit n'est pas suffisamment compensé, prévoir une nouvelle administration de fer et exclure la présence d'une perte de sang. éviter une évaluation prématurée du statut en fer (dans les 4 semaines suivant l'administration IV de fer) car les taux de ferritine seront fortement augmentés et ne seront donc pas un bon indicateur du statut en fer à ce moment.
Envisager d'évaluer régulièrement le statut en fer chez les patients ayant une IC établie (1 à 2 fois par an) ou lorsque les symptômes persistent malgré un traitement médicamenteux optimal de l'insuffisance cardiaque.
Conclusion
Jusqu'à 50 % des patients atteints d'insuffisance cardiaque ont une carence en fer, qui est associée à une diminution de la tolérance à l'effort et de la qualité de vie ainsi qu'à une mortalité accrue. Les patients atteints d'insuffisance cardiaque doivent recevoir un traitement personnalisé et adapté à leurs comorbidités, qui sont notamment la carence en fer, l'anémie et l'insuffisance rénale. Il est recommandé de traiter la carence en fer par une administration intraveineuse de FCM chez les patients symptomatiques ayant une HFrEF et une carence en fer.
Références
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