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Découverte fortuite d'une masse flottante dans l'arc aortique: cas clinique
  • Deeba Ali , Benoît Cardos , Yilmaz Gorur 

Le thrombus flottant intra-aortique est une maladie rare souvent diagnostiquée de manière fortuite, sous forme d'un incidentalome, ou après un évènement embolique cérébral, viscéral ou périphérique. L'étiologie de la maladie n'a pas été bien établie. Son taux de morbidité- mortalité est important pour les cas symptomatiques. La prise en charge thérapeutique consiste soit en un traitement conservateur anticoagulant en première ligne, soit en une thrombectomie chirurgicale en seconde ligne.

Cas clinique

Madame V.C, âgée de 53 ans est admise aux services des urgences suite à l'apparition d'une douleur de la fosse iliaque droite, crampiforme, intermittente depuis trois jours.

Dans ses antécédents, on relève comme facteurs de risque cardio-vasculaires : une hypertension artérielle, une obésité, un ancien tabagisme et une notion de dyslipidémie non traitée.

â l'admission, la patiente se plaint d'une sensation lipothymique, d'une asthénie et d'une perte de poids depuis quelques mois. L'examen clinique montre un abdomen souple, tympanique, dépressible avec une douleur diffuse, les aires ganglionnaires sont libres. L'examen cardio- pulmonaire est normal. Les paramètres hémodynamiques sont dans les normes. La température est de 36,2°C, la saturation en oxygène de 99%, la fréquence cardiaque de 72 battements par minute et la tension artérielle de 130/70 mm-Hg.

La biologie sanguine met en évidence une anémie microcytaire à 6,5 g/dl, une augmentation des GB à 13200/mm3, une CRP à 42 ng/l. La fonction hépatorénale est normale, tout comme le bilan de coagulation et les plaquettes.

Le scanner abdominal et la colonoscopie confirment une lésion tumorale sténosante du colon droit.

La patiente est donc hospitalisée en urgence pour prise en charge de la lésion colique.

Dans le cadre du bilan d'extension, une tomodensitométrie thoracique met en évidence une masse tissulaire polyploïde pédiculée intra-aortique de 2,5 x 3 cm, au niveau de l'isthme aortique (figure 1 et 2).

L'échographie cardiaque transoesophagienne montre une masse hétérogène au niveau de l'isthme aortique et une absence de thrombus intra-cavitaire. L'aorte ascendante et la crosse aortique présentent des lésions athéromateuses.

Le dossier a été discuté avec l'équipe de chirurgie vasculaire et l'indication d'un traitement par anticoagulant (héparine puis AVK) a été prise.

Une RMN est réalisée deux semaines plus tard et met en évidence une régression en volume de la masse de 60% et l'absence de prise de contraste du résidu lésionnel (figure 3a et 3b).

Le scanner de contrôle après 2 semaines de traitement efficace objective une régression du thrombus de plus de 60% de son volume initial (figure 4).

La recherche d'anticorps anti-nucléaire et d'anticorps anti-phospholipide est négative. Le dosage de la protéine S et C et l'antithrombine est normal. L'homocystéine est normale. La recherche de cryoglobuline est revenue négative.

La patiente a dès lors pu bénéficier d'une hémi-colectomie et au vu d'une bonne évolution a été autorisée à quitter l'hôpital et sera revu en consultation de suivi vasculaire.

Discussion

Le thrombus flottant de la crosse aortique fait partie des pathologies rares, il est source d'une morbidité-mortalité importante en raison d'événements emboliques1, 2.

La plus grande série rapportée estime la prévalence de cette pathologie à 0,1%. L'incidence est de 0,45% dans les études cliniques2.

Dans la littérature, l'évènement embolique est en général révélateur du désordre et on retrouve ainsi l'accident vasculaire cérébral, l'ischémie aiguë viscérale ou des membres. Si l'exploration d'une claudication d'origine artérielle de l'abdomen ou des membres inférieurs ne comprenait pas l'aorte thoracique, le diagnostic pourrait être facilement manqué. Le thrombus flottant de l'aorte thoracique peut également être retrouvé sous forme d'un incidentalome sans aucune manifestation clinique3-6.

Bien que les mécanismes physiopathologiques ne soient pas encore complètement élucidés, cette pathologie intéresse surtout le sujet âgé avec une prédominance féminine. Plusieurs facteurs de risque, tels que l'athérosclérose, la dissection, la tumeur maligne, l'anévrisme aortique, une maladie autoimmune et l'hypercoagulabilité ont été associés aux thrombus flottants aortiques. Parmi les autres étiologies rares, on retrouve les thrombophilies, l'hémopathie, la vascularite et le syndrome paranéoplasique 7, 8. Les thrombus aortiques sont le plus souvent liés à la présence de lésions endothéliales. Néanmoins, de rare cas surviennent sur une paroi saine et sont alors considérés comme 'isolés'.

Dans notre cas, l'origine du thrombus peut être imputée aux facteurs de risque cardiovasculaires même si une cause paranéoplasique nous semble la plus probable 9,10.

L'approche iconographique se fait dans l'ordre par une échographie transoesophagienne, un angioscanner thoracique et une IRM de l'aorte.

L'échographie transoesophagienne (ETO) est l'examen de première intention dans le diagnostic de thrombus flottant de l'aorte thoracique. Cet examen permet d'apprécier la taille, la morphologie, le site d'ancrage ainsi que les caractéristiques de la paroi aortique. Malheureusement, certaines parties de l'aorte thoracique, masquées par la trachée, ne sont pas visualisée par l'ETO.

L'angioscanner thoracique a une sensibilité et spécificité identiques à celles de l'ETO (87% et 82% respectivement). L'intérêt de l'IRM est de différencier le thrombus aortique d'une tumeur intravasculaire grâce à l'injection de produit de contraste. Toutefois, sa disponibilité par rapport aux autres techniques est responsable d'une sous-utilisation 11.

Les diagnostics différentiels sont les tumeurs primitives de l'aorte de type sarcomes, avec une prévalence encore plus petite que pour les thrombus aortiques. Il en est de même pour les artérites inflammatoires souvent sous-diagnostiqués 12. La prise en charge thérapeutique consiste soit en un traitement conservateur anticoagulant en première ligne, soit en une thrombectomie chirurgicale en seconde ligne 7.

Actuellement, le traitement conservateur est en première intention et implique une anticoagulation par héparinothérapie dès le diagnostic, avec un suivi par une ETO ou un angioscanner thoracique pendant le traitement. Cette prise en charge est celle que nous avons mise en place dès le diagnostic de thrombus flottant chez notre patiente. Son efficacité a été significative après deux semaines, avec une réduction de 60% du volume de la masse, comme montré par le contrôle IRM et tomodensitométrique.

L'utilisation de la thrombolyse est controversée. Source iatrogène d'embole secondaire, elle a été déconseillée par certains auteurs.

La thrombectomie chirurgicale est une approche de seconde ligne, à réserver après échec de l'anticoagulation démontré par l'iconographie de contrôle et le suivi du traitement. Elle sera discutée en fonction des facteurs de morbidité- mortalité du patient et sur la présence des critères suivants: grande mobilité du thrombus traduite ou non par la récurrence d'embolies périphériques et persistance d'une masse thrombotique non régressive après une anticoagulation efficace 7, 11.

Conclusion

Le thrombus flottant de la crosse aortique fait partie des pathologies rares et est source d'une morbidité-mortalité importante en raison d'événements emboliques. Ces thrombus polypoïdes peuvent se développer tant sur un endothélium pathologique que sain.

L'absence de diagnostic peut être liée à son caractère asymptomatique ou à une exploration incomplète de sources potentiellement emboligènes.

L'échographie transoesophagienne, l'angioscanner thoracique et l'IRM de l'aorte sont actuellement les outils utiles et nécessaires au diagnostic.

L'approche thérapeutique sera adaptée en fonction des complications de type claudications, ischémie ou nécrose et de la morbi-mortalité du patient.

  1. Mayoussi, C., Akoudad, H., Villalba, L., Dauphin, C., Lusson, J.R., Ztot, S. et al. Thrombus flottant de la crosse de l'aorte: une cause rare d'embolies artérielles périphériques: à propos d'un cas clinique. J Mal Vasc, 2004, 29 (2), 94-98.
  2. Blaise, S., Appeltants, H., Seinturier, C., Imbert, B., Thony, F., Carpentier, P.H. Thromboses aortiques 'isolées': analyse rétrospective de 10 observations. J Mal Vasc, 2005, 30 (5), 280-290.
  3. Chatterjee, S., Eagle, S.S., Adler, D.H., Byrne, J.G. Incidental discovery of an ascending aortic thrombus: Should this patient undergo surgical intervention? Am Assoc Thorac Surg, 2010, 140 (1), e14-e16.
  4. Aghajani, H., Yazdani, S., Ghafaripoor, M., Shajari, Z. Incidental Finding of a Large Mobile Aortic Arch Mass during Conventional Angiography. J Tehran Univ Heart Center, 2017, 12 (4), 171-174.
  5. Yang, S., Yu, J., Zeng, W., Yang, L., Teng, L. Aortic floating thrombus detected by computed tomography angiography incidentally: Five cases and a literature review. J Thorac Cardiovasc Surg, 2017, 153 (4), 791-803.
  6. Sugiura, T., Dohi, Y., Yamashita, S. A case report of asymptomatic aortic thrombosis incidentally detected by computed tomography in apparently healthy subject with a history of cancer surgery. Thromb J, 2016, 14, 16.
  7. Weiss, S., Bühlmann, R., von Allmen, R.S., Makaloski, V., Carrel, T.P., Schmidli, J. Management of floating thrombus in the aortic arch. J Thorac Cardiovasc Surg, 2016, 152 (3), 810- 817.
  8. Seelig, M.H., Klingler, P.J., Oldenburg, W.A., Blackshear, J.L. Angiosarcoma of the aorta: report of a case and review of the literature. J Vasc Surg, 1998, 28 (4), 732-737.
  9. Reber, P.U., Patel, A.G., Stauffer, E., Müller, M.F., Do, D.D., Kniemeyer, H.W. Mural aortic thrombi: An important cause of peripheral embolization. J Vasc Surg, 1999, 30 (6), 1084- 1089.
  10. Prasoon, M.P., Guzman, E.D. Dynamic cardiac CT angiography in the diagnosis and management of mobile thrombus in the ascending aorta. Eur J Radiol Extra, 2011, 78 (3), e129-e132.
  11. Pousios, D., Velissaris, T., Duggan, S., Tsang, G. Floating intra-aortic thrombus presenting as distal arterial embolism. Interact Cardiovasc Thorac Surg, 2009, 9 (3), 532-534.
  12. Sung Hee, J., Nam-Ho, K. Floating Thrombus in the Aortic Arch: A Case Report. Korean Circ J, 2005, 35, 180-182.
  13. Bum Choi, J., Ho Choi, S., Nam Ho, K. Floating Thrombus in the Proximal Aortic Arch. Tex Heart Inst J, 2004, 31 (4), 432-434.

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