Les résultats de quelques importantes études récentes au sujet de la fibrillation auriculaire persistante et de la prévention cardiovasculaire secondaire ont été présentés lors de cette session consacrée aux dernières études cliniques.
1 Étude CASTLE-AF
Le Professeur Nassir Marrouche de l'Université d'Utah, Salt Lake City, a présenté les résultats de l'étude CASTLEAF, une étude multicentrique randomisée qui a comparé une ablation par cathéter par rapport au traitement conventionnel chez des patients souffrant d'insuffisance cardiaque et de fibrillation auriculaire (FA). Environ 30 % des patients souffrant d'insuffisance cardiaque développeront une FA et, comme ceci est associé à une mortalité accrue,1 il est très intéressant que cette étude ait précisément eu comme critère d'évaluation primaire la capacité de l'ablation par cathéter d'améliorer les critères d'évaluation clinique incontestables, tels que la mortalité et les hospitalisations dues à une progression de l'insuffisance cardiaque. Par ailleurs, les critères d'évaluation secondaires étaient e.a. l'incidence d'AVC et de mortalité cardiovasculaire, l'amélioration de la fonction ventriculaire gauche et la réduction du fardeau de la FA. Les patients inclus présentaient une sévère diminution de la fonction ventriculaire gauche (fraction d'éjection ≤ 35 %), une insuffisance cardiaque symptomatique (classe NYHA ≥ II) et ils avaient déjà bénéficié de l'implantation d'un DCI ou d'un dispositif de CRT avec possibilité de monitoring à domicile. Ils souffraient par ailleurs de FA paroxystique ou persistante (prolongée) avec échec ou intolérance à au moins 1 antiarythmique. Dans 31 centres situés dans 9 pays, l'étude a randomisé 397 patients entre un traitement par ablation par cathéter (n = 179) ou le traitement conventionnel (n = 184). Après une période d'inclusion de 5 semaines visant à optimiser le traitement médicamenteux de l'insuffisance cardiaque, plus de 90 % des patients des deux groupes étaient traités tant par un bêtabloquant et un IEC que par spironolactone. Par la suite, dans le bras 'ablation', on a pratiqué une isolation des veines pulmonaires chez tous les patients, éventuellement complétée d'une ablation du substrat, laissée au choix de l'opérateur, et d'une nouvelle ablation si nécessaire. La plupart des patients inclus souffraient d'une FA persistante (70 %), et 20 % souffraient même de FA persistante prolongée. Bien que, dans le bras conventionnel, on ait donné la préférence au contrôle du rythme, on n'a en pratique visé qu'un contrôle de la fréquence chez deux tiers de ces patients (60 à 80 au repos et 90 à 115 battements par minute à l'effort).
Lors d'un suivi de 5 ans, l'ablation par cathéter a entraîné une impressionnante réduction du risque (38 %) du critère d'évaluation primaire composite de mortalité totale et d'hospitalisations pour progression de l'insuffisance cardiaque (HR 0,62, IC à 95 % 0,43-0,87, p = 0,007) (figure 1A). En ce qui concerne la mortalité totale considérée isolément, cette réduction du risque atteignait 47 % (p = 0,011) (figure 1B), et le chiffre était de 44 % pour les hospitalisations pour insuffisance cardiaque considérées isolément (p = 0,004). En ce qui concerne la mortalité cardiovasculaire, l'ablation par cathéter entraînait une diminution de 51 % à 5 ans (p = 0,008). Par ailleurs, on a également enregistré une réduction de 28 % du nombre d'hospitalisations pour causes cardiovasculaires avec l'ablation (p = 0,050). En outre, l'ablation réduisait considérablement le fardeau de la FA, et on notait même un maintien du rythme sinusal chez 63 % des patients après une période de 5 ans. Dans le bras 'ablation', on a également observé une augmentation de 8 % de la fraction d'éjection au bout de 5 ans, tandis que celle-ci restait inchangée dans le bras 'traitement conventionnel'. Bien que le traitement anticoagulant soit identique dans les deux groupes, on a noté significativement moins d'AVC et d'AIT dans le bras 'ablation' durant toute la période d'étude (3,9 vs 6,7 % dans le bras conventionnel).
L'étude CASTLE-AF est la première étude ayant démontré (critère d'évaluation primaire) que l'ablation par cathéter d'une FA chez des patients souffrant d'insuffisance cardiaque entraîne une diminution de la mortalité ainsi que du nombre d'hospitalisations, comparativement à un traitement médicamenteux conventionnel. Sur la base de ces résultats, il est dès lors indiqué de proposer une ablation par cathéter à un stade précoce aux patients souffrant d'insuffisance cardiaque et de FA paroxystique ou persistante, et ce, pour des raisons pronostiques.
2 Étude RACE 3
Le Professeur Isabelle Van Gelder du Centre médical universitaire de Groningen a présenté les résultats de l'étude RACE 3. Cette étude a examiné si une prise en charge intensive des facteurs de risque et des adaptations du mode de vie pouvaient ralentir la progression de la maladie et améliorer le contrôle du rythme, chez des patients souffrant de FA persistante et d'insuffisance cardiaque à un stade précoce. Le contrôle efficace du rythme en cas de FA est en effet compliqué par un remodelage auriculaire provoqué par divers facteurs de risque, les cardiopathies sous-jacentes et le trouble du rythme lui-même. Une intervention précoce avec prise en charge de ces facteurs de risque et des cardiopathies sous-jacentes, dans le but d'obtenir un remodelage auriculaire bénéfique (traitement upstream), pourrait prévenir la progression d'une FA persistante à un stade précoce. Cette étude prospective randomisée de supériorité a inclus des patients souffrant de FA persistante de courte durée (durée de la FA persistante < 6 mois) et ayant subi maximum 1 cardioversion électrique. Par ailleurs, l'antécédent total de FA pouvait atteindre maximum 5 ans, et ces patients présentaient un stade précoce d'insuffisance cardiaque. En cas d'insuffisance cardiaque systolique modérée (FEVG < 45 %), on a tant inclus des patients asymptomatiques que symptomatiques (classes NYHA I-III); en cas de FEVG ≥ 45 %, seuls les patients symptomatiques (classes NYHA II-III) ont été inclus. Les critères d'exclusion étaient une FA paroxystique pure, un traitement préalable par antiarythmiques, une forte dilatation des oreillettes (diamètre > 50 mm), une sévère diminution de la fonction ventriculaire gauche (FEVG < 25 %), la prise d'antagonistes des récepteurs des minéralocorticoïdes et l'impossibilité de participer à une revalidation cardiaque. Après un éventuel traitement causal de la FA et de l'insuffisance cardiaque, les patients ont été randomisés entre un bras recevant le traitement conventionnel et un bras recevant le traitement upstream, ciblé sur les facteurs de risque. Au bout de 3 semaines de traitement, les patients des deux groupes ont subi une cardioversion électrique, après quoi on a instauré un contrôle du rythme et un traitement de l'insuffisance cardiaque, conformes aux recommandations. En outre, dans le bras 'traitement upstream', on a débuté un traitement par (1) un antagoniste des récepteurs des minéralocorticoïdes, (2) une statine, (3) un IEC ou un sartan (à la dose maximale tolérée, avec une TA cible < 120/80 mmHg) et (4) une revalidation cardiaque consistant en activité physique, mesures diététiques et counseling. L'activité physique consistait en un entraînement supervisé (9-11 semaines, 2-3 x/semaine). Par ailleurs, on prévoyait toutes les 6 semaines un counseling lors duquel les patients étaient stimulés à pratiquer au moins une demi-heure de sport par jour, 5 jours par semaine. Lors de ce counseling, on insistait également sur la compliance médicamenteuse, les mesures diététiques en cas d'IMC 3 27 kg/m2, la restriction sodée et la restriction hydrique, en fonction de la sévérité de l'insuffisance cardiaque.
Sur une période de 6 ans, 245 patients ont été inclus dans 17 centres. Le stade précoce des patients inclus était frappant: la durée totale de FA et de FA persistante n'atteignait que 3 et 2 mois, respectivement. L'insuffisance cardiaque était également à un stade très précoce, en moyenne 2 mois seulement. Dans le bras 'traitement upstream', les patients étaient bien compliants au traitement médicamenteux, et plus de 92 % d'entre eux ont également achevé la revalidation cardiaque. Durant l'année suivant la randomisation, dans les deux bras de l'étude, on a réalisé de manière égale une nouvelle cardioversion (> 50 %), instauré des antiarythmiques (45 %) ou pratiqué une ablation (3 % seulement).
Au bout d'un an de suivi, on a réalisé un enregistrement Holter de 7 jours, sur lequel 75 % des patients du bras 'upstream' étaient en rythme sinusal, contre 63 % des patients du bras conventionnel, soit une différence statistiquement significative (odds ratio 1,76, p = 0,021) (figure 2). Par ailleurs, la diminution de la tension artérielle, du cholestérol LDL et des valeurs de NTpro-BNP était significativement plus importante dans le bras 'upstream'. En dépit de la revalidation cardiaque et des conseils relatifs à l'activité physique et aux mesures diététiques, on n'a pas observé de diminution de l'IMC.
L'étude RACE 3 étaye donc l'hypothèse selon laquelle la prise en charge intensive des facteurs de risque et les adaptations du mode de vie contribuent à un contrôle du rythme plus efficace chez les patients se trouvant à un stade précoce de FA persistante et d'insuffisance cardiaque. Dans cette population de patients, cette approche 'upstream' a une place dans le cadre du traitement, parallèlement aux méthodes thérapeutiques médicamenteuses et interventionnelles classiques.
3 Étude COMPASS
Le Professeur John Eikelboom de l'Université McMaster à Hamilton a présenté les résultats de l'étude COMPASS. Cette étude randomisée à grande échelle a comparé un traitement d'entretien combinant de l'acide acétylsalicylique et du rivaroxaban par rapport à de l'acide acétylsalicylique en monothérapie dans le cadre de la prévention secondaire chez des patients souffrant de maladies cardiovasculaires stables. À l'échelle mondiale, l'acide acétylsalicylique est le traitement le plus instauré pour la prévention cardiovasculaire secondaire, mais il n'entraîne qu'une réduction relative du risque de 19 % des événements cardiovasculaires majeurs.2 Les antagonistes de la vitamine K (warfarine) en monothérapie ou associés à l'acide acétylsalicylique s'avèrent plus efficaces en prévention secondaire après un infarctus myocardique, mais ils sont associés à un risque hémorragique élevé, inacceptable, incluant des hémorragies intracrâniennes, ce qui explique que la warfarine n'a jamais été reprise pour cette indication. En revanche, le rivaroxaban possède un meilleur profil de sécurité que la warfarine et, chez les patients ayant présenté un syndrome coronarien aigu récent, il est déjà démontré qu'un traitement d'entretien par rivaroxaban à dose faible (2 x 2,5 mg/j) entraîne une diminution de la mortalité.3 L'étude COMPASS a examiné si le rivaroxaban (faiblement dosé) était plus efficace en prévention secondaire chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires stables, et s'il entraînait une diminution du critère d'évaluation primaire composite de mortalité cardiovasculaire, d'AVC et d'infarctus myocardiques. Cette étude a inclus des patients souffrant d'une maladie coronarienne ou d'une artériopathie périphérique stable. Après une phase d'inclusion de 30 jours de traitement par acide acétylsalicylique, les patients qui toléraient ce traitement ont été randomisés vers 1 des 3 traitements d'entretien suivants: (1) acide acétylsalicylique 100 mg 1 x/j associé à du rivaroxaban 2,5 mg 2 x/j, (2) rivaroxaban 5 mg 2 x/j ou (3) acide acétylsalicylique 100 mg 1 x/j. L'étude a inclus 27 295 patients recrutés dans 602 centres situés dans 33 pays différents; 90 % des patients présentaient une maladie coronarienne, et 27 % une maladie vasculaire périphérique. Après un suivi moyen de 23 mois, l'étude a été arrêtée prématurément, car le traitement combinant l'acide acétylsalicylique et le rivaroxaban était nettement plus efficace. Le critère d'évaluation primaire composite de mortalité cardiovasculaire, d'AVC et d'infarctus myocardiques est survenu chez 4,1 % des patients du bras combiné, contre 5,4 % des patients du bras acide acétylsalicylique en monothérapie (HR 0,76 (0,66-0,86), p < 0,0001) (figure 3). Dans le bras rivaroxaban en monothérapie, l'incidence atteignait 4,9 %, ce qui n'était pas significativement meilleur que l'acide acétylsalicylique. Dans une analyse de sous-groupes, cet effet était constant, tant chez les patients souffrant d'une maladie coronarienne que d'une artériopathie périphérique. En ce qui concerne les critères d'évaluation individuels, on a observé - dans le bras combiné - une réduction significative de la mortalité cardiovasculaire (incidence 1,7 % vs 2,2 %, HR 0,78 (0,64- 0,96), p = 0,02) et des AVC (incidence 0,9 vs 1,6 %, HR 0,58 (0,44-0,76), p < 0,0001), mais pas de l'incidence des infarctus myocardiques individuels (1,9 vs 2,2 %, p = 0,14). En revanche, la combinaison de rivaroxaban et d'acide acétylsalicylique était associée à une augmentation des hémorragies majeures (3,1 vs 1,9 %, p < 0,0001), sans augmentation des hémorragies fatales, intracrâniennes ou d'autres hémorragies organiques critiques. Ceci a entraîné un bénéfice clinique net en faveur du traitement combiné: la coexistence du critère d'évaluation primaire et d'hémorragies cliniques sévères est survenue chez 4,7 % des patients du bras combiné, contre 5,9 % des patients du bras acide acétylsalicylique en monothérapie (HR 0,80 (0,70-0,91), p = 0,005).
L'étude COMPASS démontre donc que le traitement combinant de l'acide acétylsalicylique et du rivaroxaban 2 x 2,5 mg/j entraîne une diminution de l'incidence de décès cardiovasculaires et d'infarctus cérébraux chez les patients souffrant de maladies cardiovasculaires stables. En dépit d'une augmentation des hémorragies sévères (non fatales et non intracrâniennes), le bénéfice clinique net de ce traitement combiné persiste. Ceci n'était pas le cas pour une dose faible de rivaroxaban (2 x 5 mg/j) en monothérapie. Peut-être ces résultats favorables influenceront- ils les recommandations pour la prévention secondaire, à l'avenir.
Références
- Mamas, M.A., Caldwell, J.C., Chacko, S., Garratt, C.J., Fath-Ordoubadi, F., Neyses, L. A meta-analysis of the prognostic significance of atrial fibrillation in chronic heart failure. Eur J Heart Fail, 2009, 11, 676-683.
- Antithrombotic Trialists' (ATT) Collaboration. Aspirin in the primary and secondary prevention of vascular disease: collaborative meta-analysis of individual participant data from randomised trials. Lancet, 2009, 373, 1849-1860.
- Mega, J.L., Braunwald, E., Wiviott, S.D., Bassand, J.P., Bhatt, D.L., Bode, C., et al. Rivaroxaban in patients with a recent acute coronary syndrome. N Engl J Med, 2012, 366, 9-19.
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