Le diabète pour un cardiologue est certainement un facteur de risque cardiovasculaire important. La mortalité cardiovasculaire est majorée nettement chez un patient diabétique mais toutefois la relation entre la glycémie, entre le contrôle du diabète reflété par l'Hb A1c est moins nette que celle qui existe avec les complications micro vasculaires du diabète, comme la rétinopathie et la néphropathie diabétique par exemple. En outre, le cardiologue a pris l'habitude depuis la fameuse étude UKPDS, peutêtre par paresse également, de penser que se battre pour un contrôle glycémique optimal ne rapportait pas autant que de lutter contre le cholestérol ou l'hypertension, voir contre le tabagisme. Rappelons que dans cette étude qui remonte déjà presque qu'au temps de la préhistoire diabétique (surtout quand on regarde les médicaments utilisés à l'époque) mais qui a marqué fortement les esprits, on a montré qu'un meilleur contrôle glycémique ne se traduisait pas en termes de bénéfice sur le plan cardiovasculaire, même si les données à plus long terme montraient quand même un (modeste) bénéfice en termes de réduction de survenue d'un infarctus du myocarde. Il fallait attendre une dizaine d'années pour voir un bénéfice à ce niveau seulement alors que rien n'était objectivé sur la survenue d'accidents vasculaires cérébraux, sur les décès ou hospitalisations pour insuffisance cardiaque ou sur la mortalité cardiovasculaire en général. Les résultats sont beaucoup plus tangibles dans un autre ordre d'idées avec les statines pour diminuer le cholestérol, surtout en prévention secondaire, et avec les médicaments hypotenseurs, ce qui explique peut-être l'intérêt plus marqué par les cardiologues pour ces traitement au détriment des médicaments du diabète, confiés essentiellement à l'endocrinologiste.
Les cardiologues sont même devenus méfiants avec les antidiabétiques oraux et l'arrivée d'une série de nouveaux médicaments hypoglycémiants avec des mécanismes d'action complexes n'a pas facilité leur tâche et la prise en charge systématique du patient diabétique. La bonne vieille metformine rassurait mais l'aventure des glitazones a jeté un froid dans les milieux cardiologiques, en particulier avec la rosiglitazone qui montrait même dans une méta-analyse publiée en 2007 dans le New England Journal of Medicine un taux accrus d'infarctus du myocarde de 43 % et de 64 % de mortalité cardiovasculaire. La situation a même poussé la toute puissante FDA en 2008 (l'EMA au niveau européen a réagi de façon similaire mais avec quelques années de retard) à obliger les compagnies pharmaceutiques qui développaient de nouvelles médications hypoglycémiantes de réaliser des études contrôlant la sécurité cardiovasculaire de ces molécules (figure 1). La barre n'était pourtant pas placée haute car seule une innocuité était demandée à ce niveau, l'intérêt de baisser la glycémie étant clairement plus porté vers les complications micro-vasculaires de type rétinopathie ou néphropathie par exemple.
Dans la foulée, de nombreuses études visant comme objectif primaire la neutralité en termes de survenue d'évènements cardiovasculaire ont été lancées avec des résultats 'relativement positifs' au départ. On s'est félicité tout un temps de n'avoir pas de morbidité accrue sur le plan cardiovasculaire avec les gliptines qui sont des inhibiteurs de la dipeptidylpeptidase-4 (DPP-4), une enzyme responsable de l'inactivation d'hormones intestinales, les incrétines (glucagon-like peptide-1 (GLP-1), gastric inhibitory polypeptide (GIP), qui ralentissent la vidange gastrique, diminuent la sécrétion du glucagon et stimulent la sécrétion glucose-dépendante d'insuline. Chacun à son tour, la saxagliptine dans l'étude SAVOR-TIMI 53, l'alogliptine dans l'étude EXAMINE et la sitagliptine dans l'étude TECOS n'ont montré aucun effet délétère … mais également aucun effet positif sur la survenue d'évènements cardiovasculaire. Une augmentation des hospitalisations pour insuffisance cardiaque était même notée dans l'étude SAVOR-TIMI 53. L'histoire des gliptines sur le plan cardiovasculaire n'est pourtant pas close car la linagliptine (étude CARMELINA et CAROLINA) et l'omarigliptine (étude OMNEON 11) sont toujours en investigation à ce niveau.
Parallèlement à cette classe d'antidiabétiques oraux, on a développé la classe des incrétinomimétiques, des molécules injectables en sous-cutané qui sont des analogues de l'hormone incrétine glucagon- like-peptide-1 (GLP-1) plutôt qu'un inhibiteur de leur inactivation! Sur le plan pratique, on joue donc la même carte de ralentir la vidange gastrique, de diminuer la sécrétion de glucagon et de stimuler la sécrétion d'insuline … L'histoire avait pourtant semblé prendre la même tournure avec la lixisenatide dans l'étude ELIXA où la non-infériorité avait été également obtenue. Pas d'effets dommageables sur le plan cardiovasculaire mais pas non plus de bénéfice. L'espoir est revenu dans le monde cardiologique avec l'étude LEADER où la liraglutide a enfin montré non pas une neutralité mais un bénéfice modeste de 13 % (p < 0,001 pour la non-infériorité, p=0.01 pour la supériorité) sur le critère d'évaluation principal qui combinait la mortalité cardiovasculaire, la survenue d'infarctus du myocarde ou d'accident vasculaire cérébral non mortels. Qui plus est, l'étude SUSTAIN 6 avec la semaglutide a également montré un bénéfice similaire de 26 % sur le même critère d'évaluation composite (p < 0,001 pour la non-infériorité, p=0.02 pour la supériorité). D'autres études sont en cours actuellement avec des molécules de cette classe (exenatide dans l'étude EXSCEL, dulaglutide dans l'étude REWIND et albiglutide dans l'étude HARMONY) et pourraient renforcer ce vent d'espoir pour le monde cardiologique.
Avec la classe des glifozines, un pas supplémentaire semble avoir été franchi avec l'empaglifozine même si d'autres molécules voisines (dapaglifozine, canaglifozine, ertuglifozine) sont toujours en cours d'investigation « cardiovasculaire » … Les glifozines agissent par un mécanisme tout à fait différent: ce sont des inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (SGLT 2) au niveau rénal. En d'autres termes, avec l'avantage également d'une prise orale, ils diminuent la réabsorption rénale du glucose, favorisant son élimination. L'étude EMPA-REG outcome a ainsi ouvert la voie en démontrant chez des patients diabétiques avec une maladie cardiovasculaire établie (antécédent d'infarctus du myocarde, maladie coronarienne, accident vasculaire cérébral, artérite des membres inférieurs) une réduction de 15 % du critère d'évaluation composite. De façon impressionnante, une réduction de 38 % de la mortalité cardiovasculaire a été montrée (p < 0,0001) ainsi qu'une réduction de 35 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque (p = 0,0017). Cette dernière donnée fait d'ailleurs actuellement l'objet d'études complémentaires car la population d'EMPA-REG n'était pas constituée uniquement par des patients atteints d'insuffisance cardiaque, qui ne représentait qu'environ 10 % de la population étudiée. Le design de l'étude ne visait pas non plus à étudier spécifiquement ce point ce qui en limite la portée. L'hypothèse testée actuellement est que cette molécule pourrait même jouer un rôle bénéfique dans la prise en charge de l'insuffisance cardiaque, et cela y-compris chez des patients non diabétiques diabétiques, mais cela reste à demontrer.
En conclusion, les cardiologues se redécouvrent un nouvel intérêt dans la prise en charge du diabète avec enfin un espoir d'agir positivement sur les conséquences cardiovasculaires de cette maladie qui bien évidemment doit se faire en coordination avec les endocrinologues. L'union fait la force est une devise bien belge et pourra donc s'appliquer chez les patients diabétiques, en privilégiant chez eux des médications non seulement hypoglycémiantes mais aussi protectrices au niveau cardiovasculaire.
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