Un patient se présente au service des urgences avec une douleur thoracique d'apparition soudaine, irradiant vers le dos. À l'examen clinique, un nouveau souffle cardiaque diastolique est perceptible. Aucune modification n'est visible à l'électrocardiographie, le dosage des troponines se révèle négatif et le médecin urgentiste appelle immédiatement le cardiologue de garde en raison d'une suspicion de trouble cardiaque aigu. Le cardiologue de garde est par hasard occupé à effectuer un cathétérisme cardiaque et donne l'ordre d'administrer au patient du ticagrélor et de l'acide acétylsalicylique, puis de lui faire subir une coronarographie en urgence. Cet examen révèle la présence d'une dissection aortique aiguë de type A, mais rapidement, l'état hémodynamique du patient s'aggrave, il présente une tamponnade et décède avant même que l'équipe de cardiochirurgie puisse être appelée. Vous reconnaissez certainement cet exemple poignant, ou vous avez peutêtre vécu un événement similaire ou en avez entendu le récit. Bien évidemment, l'incidence des syndromes coronariens aigus est nettement plus élevée que celle des syndromes aortiques aigus (environ 4 par 100 000 habitants par an)1 et, en cas de suspicion d'un infarctus du myocarde, on décide - à juste titre - de procéder rapidement à une coronarographie. Toutefois, cela ne signifie pas qu'en cas de douleur thoracique aiguë, on puisse décider les yeux fermés de procéder à une coronarographie sans avoir d'abord minutieusement exclu d'autres possibilités, notamment des syndromes aortiques aigus. Rien de difficile en soi, car le tableau comporte d'habitude certaines indications suggérant la présence d'un problème d'aorte au lieu d'un problème coronaire. La douleur thoracique aiguë qui irradie vers la région interscapulaire ou la région lombaire est par exemple typique d'une pathologie de l'aorte. Par ailleurs, dans le tableau clinique global, le souffle cardiaque d'apparition nouvelle à l'auscultation, indiquant une insuffisance de la valve aortique, est quasi pathognomonique d'une dissection aortique de type A. En cas de problème d'aorte, l'électrocardiogramme ne montre généralement aucune anomalie. Même en cas de dissection aortique de type A, il est rare que l'on observe une malperfusion d'une artère coronaire, qui permettrait de visualiser des modifications ischémiques à l'ECG. De même, dans la plupart des cas, une radiographie du thorax n'apporte pas non plus d'information complémentaire. En revanche, les taux de D-dimères sont augmentés en cas de dissection aortique. La dernière Assemblée annuelle de la Society for Cardiothoracic Surgery of Great Britain and Ireland (SCTS) à Belfast (12-14 mars 2017) a clairement pointé du doigt le manque de sensibilisation (awareness) aux syndromes aortiques aigus aux urgences au Royaume-Uni, une situation qui conduit fréquemment au décès prématuré des patients. À cet égard, il faut garder à l'esprit qu'en l'absence de traitement adéquat, une dissection aiguë de type A entraîne une mortalité de 50 % dans les 48 heures, un pourcentage qui grimpe jusqu'à près de 90 % dans un délai d'un mois. En cas de dissection aiguë, l'administration automatique d'inhibiteurs de l'agrégation plaquettaire entraînera une hémorragie intrapéricardique et une tamponnade. Si les médecins urgentistes qui prennent en charge les patients présentant une douleur thoracique aiguë avaient davantage tendance à suspecter (selon le concept d''awareness') un problème aortique aigu, ils pourraient sans doute établir à temps un diagnostic approprié au moyen d'une tomodensitométrie ou d'une échocardiographie transthoracique, ce qui permettrait de passer à l'étape suivante, à savoir une intervention de chirurgie cardiaque d'urgence. Dès lors, il a donc été proposé que lorsqu'un trouble cardiaque aigu peut être exclu, on établisse plus rapidement un diagnostic afin de confirmer une pathologie aortique. Un algorithme a été proposé à cet effet (figure 1). Les manquements tels que ceux décrits plus haut existent certainement aussi chez nous : le nombre de patients opérés en Belgique chaque année pour une dissection aiguë de type A est en effet nettement inférieur au nombre attendu, qui serait de 400 patients. Il est donc opportun d'adopter, en Belgique, des mesures destinées à renforcer la sensibilisation aux syndromes aortiques aigus. Le message à adresser à tous les médecins urgentistes et cardiologues est donc le suivant: Think aorta! (Figure 2).
Références
- Nienaber, C.A. et al. Aortic dissection. Nat Rev Dis Primers, 2016, 2, 16053.
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