Pour la prévention secondaire des patients souffrant de maladies coronariennes (après un infarctus myocardique, une chirurgie coronaire ou l'implantation d'un stent), plusieurs recommandations internationales, incluant celles de la Société Européenne de Cardiologie,1 préconisent d'une part l'adaptation du mode de vie, et d'autre part l'instauration à long terme de médicaments cardioprotecteurs. Ces derniers englobent l'aspirine, les bêtabloquants, les IEC ou antagonistes des récepteurs de l'angiotensine et les statines, sauf contre-indications. Des études épidémiologiques récentes, telles qu'EUROASPIRE IV, indiquent que ces médicaments sont actuellement souvent prescrits aux patients souffrant de maladies coronariennes.2 L'obtention d'un effet thérapeutique ne dépend toutefois pas uniquement de la prescription effective du médicament, mais aussi de la prise de ce médicament au long cours par le patient, en d'autres termes, l'adhérence (ou compliance) du patient à son traitement. Cependant, cette compliance thérapeutique doit à tout le moins être considérée comme suboptimale, si nous analysons les données 'real world'. Elle diminue clairement avec le temps, après l'événement coronarien aigu,3 et une récente méta-analyse a montré que seuls 60 % des patients évalués (plus de 2 millions) avaient une bonne compliance vis-à-vis de leurs médicaments cardiovasculaires (définie comme une adhérence ≥ 80 %).4 Une récente étude de Hamood et al.5 a p. ex. indiqué qu'au bout d'un an, l'adhérence aux médicaments n'atteignait que 55 % pour les statines et 47 % pour les bêtabloquants, chez 4 655 patients ayant présenté un infarctus myocardique aigu. Seuls 18 % de tous les patients étaient adhérents aux 4 médicaments cardioprotecteurs (aspirine, bêtabloquants, IEC/ARB4 et statines) et 79 % étaient adhérents à au moins 1 de ces 4 produits. Très récemment, Colantonio et al.6 ont rapporté, dans une étude impliquant 57 898 patients âgés de 66 ans ou plus, que seuls 42 % suivaient encore régulièrement un traitement intensif par statines, 2 ans après avoir présenté un infarctus myocardique. Environ 9 % étaient passés à une statine moins dosée, 17 % prenaient ce médicament très irrégulièrement et 19 % avaient totalement arrêté le traitement. Dès lors, un manque de compliance médicamenteuse est considéré comme un problème majeur de santé publique, étant donné qu'il est partiellement responsable de l'aggravation de l'affection médicale, d'un moins bon pronostic, de coûts plus élevés pour les soins de santé, et même d'un excédent de mortalité.7
Les déterminants de la compliance thérapeutique chez les patients coronariens
La compliance thérapeutique est clairement multifactorielle. Avant tout, un certain nombre de caractéristiques démographiques jouent manifestement un rôle. Ainsi, la compliance après un syndrome coronarien aigu est moins bonne chez les patients plus jeunes, vis-àvis de certains médicaments tels que les bêtabloquants, en raison d'effets indésirables tels que fatigue et dysfonction érectile.5, 8 La compliance thérapeutique est également nettement moins bonne en cas de privations sociales, de pauvreté, chez les patients moins instruits ou ayant des difficultés d'accès aux soins de santé. Deuxièmement, des caractéristiques cliniques jouent un rôle important. Ainsi, la compliance est meilleure chez les patients ayant subi une procédure de revascularisation, peut-être parce que ces patients bénéficient de contrôles médicaux plus fréquents, et parce qu'ils sont plus motivés à adapter leur mode de vie.5, 6, 9 D'autre part, la compliance au traitement est nettement moins bonne chez les patients présentant des comorbidités (telles que diabète et BPCO) de sorte que, paradoxalement, ces patients à haut risque qui peuvent tirer le plus de bénéfices d'un traitement prolongé rencontrent le plus de problèmes pour prendre régulièrement leurs médicaments. Ici, il est probable que le grand nombre de médicaments à prendre, la complexité du schéma de prise et les coûts médicaux jouent un rôle important.5, 10 Enfin, les médias jouent également un rôle non négligeable. Ainsi, une récente étude danoise a révélé que la mauvaise publicité véhiculée dans les médias nationaux, au sujet d'effets indésirables possibles des statines, a non seulement entraîné une augmentation considérable et significative de l'arrêt prématuré de ces médicaments, mais aussi une augmentation significative du nombre d'infarctus myocardiques et de décès cardiovasculaires chez les patients ayant arrêté leurs statines.11
Interventions possibles pour améliorer la compliance thérapeutique
Étant donné la complexité de la compliance thérapeutique, il n'est pas facile de mettre sur pied des interventions visant à l'améliorer. Dans une récente revue de Santo et al.,12 études cliniques randomisées (10 706 patients) ont été passées en revue, sur la base de critères stricts. Ces études ont évalué l'effet de différentes interventions sur la compliance thérapeutique des patients coronariens. Globalement, il est apparu que la mise en place d'une intervention entraînait une augmentation significative de l'adhérence des patients, qui passait de 60 % à 70 %. Les interventions étudiées étaient toutefois très diverses et fréquemment complexes, basées sur deux composantes ou plus. Certaines études ne se sont ciblées que sur l'adhérence aux médicaments, tandis que d'autres visaient tant les médicaments que les améliorations du mode de vie. Les interventions plus complexes étaient notamment assurées par les pharmaciens, le personnel infirmier, les chercheurs et d'autres professionnels de la santé. Certaines études n'ont cependant pas eu besoin de faire intervenir du personnel supplémentaire pour mettre en place l'intervention. Ces interventions plus simples consistaient e.a. à envoyer des SMS, à introduire une polypil ou à implémenter le système du ticket modérateur afin de réduire les coûts des médicaments pour le patient. Une constatation importante de l'étude de Santo fut en outre que ces interventions plus simples donnaient des résultats similaires, en termes de compliance aux médicaments, par rapport aux interventions plus complexes. Ceci ouvre des perspectives afin de tester ce type d'interventions dans différents contextes et à plus grande échelle. Enfin, il faut bien souligner que l'effet sur les résultats cliniques (incidents coronariens, mortalité) et la rentabilité de telles interventions ne sont pas encore connus.
La polypil
Le concept de 'polypil', contenant une association fixe de médicaments, a été introduit par Wald et Law en 2003.13 Dans leur proposition initiale, ils postulaient qu'une polypil contenant 6 médicaments (aspirine, statine, bêtabloquant, IEC, diurétique et acide folique) pourrait réduire les maladies cardiovasculaires de 80 % si toutes les personnes de plus de 55 ans et tous les patients souffrant de maladies cardiovasculaires la prenaient. Des études cas-témoins nichées ont par la suite démontré qu'une pharmacothérapie combinée peut réduire de 75 % la mortalité chez les patients ayant des antécédents de maladies cardiovasculaires.14 Toutefois, en prévention primaire, les preuves en faveur de la polypharmacie sont beaucoup moins claires, et il est certainement nécessaire de disposer d'études complémentaires portant sur la stratification du risque à l'aide, par exemple, de scores cliniques ou d'imagerie, pour identifier les patients à haut risque entrant en ligne de compte pour de plus amples études avec une polypil.15, 16
Les effets prouvés de la polypil
L'utilisation de la polypil est clairement associée à une amélioration de l'adhérence médicamenteuse à court (12 semaines) et plus long terme (1 an et plus). Une méta-analyse de quatre études conduites auprès de patients souffrant de maladies cardiovasculaires ou courant un risque élevé de maladies cardiovasculaires a montré une augmentation de 44 % de l'adhérence chez les utilisateurs de la polypil, comparativement à une prise en charge classique,17 et ce, surtout chez les patients ayant une compliance thérapeutique limitée ou ceux ayant besoin d'un traitement à long terme.16 Cette meilleure adhérence est également associée à un meilleur contrôle des facteurs de risque. Ainsi, la méta-analyse SPACE a montré que l'utilisation de la polypil est associée à une diminution de 2,5 mmHg de la tension artérielle systolique et de 3,5 mg/dl du taux de LDL, comparativement à un traitement conventionnel.18 Toutefois, l'effet de la polypil sur les événements cardiovasculaires en prévention secondaire ou primaire n'est pas encore prouvé. Nous espérons que des études telles que TIPS-3, SECURE et PolyIran clarifieront ceci à l'avenir.17
Les limites de la polypil
Pour les cliniciens, le plus grand obstacle à l'utilisation de la polypil en pratique quotidienne est la limitation de l'adaptation des doses pour atteindre les valeurs lipidiques et tensionnelles cibles. L'absence de statine hautement dosée dans les préparations actuellement disponibles constitue également une limitation à leur instauration, peu après un syndrome coronarien aigu. L'apparition éventuelle d'un effet indésirable dû à un des composants, entraînant l'arrêt complet de la popypil chez un patient individuel, constitue également une limitation. Enfin, il est également possible que l'introduction de la polypil puisse entraîner une moins bonne compliance et une non-adhérence aux mesures hygiéno- diététiques. Ce dernier point n'a toutefois pas encore été confirmé dans les études cliniques. Ainsi, l'étude UMPIRE a montré des améliorations comparables au niveau du mode de vie, tant chez les patients du groupe polypil que chez ceux bénéficiant de la prise en charge classique.17, 19
Références
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